• Description

"Le départ pour la Dobrudscha semble avoir donné le signal à l'épidémie.

 Le général Jusuf avait résolu de tomber à  l'improviste par une marche de nuit, sur le gros des troupes réuni aux alentours de Baba-Dagh, mais au moment où, à 6 heures du soir, l'ordre du départ fut donné, 500 hommes restèrent étendus sur le sol et ne purent se relever.

Le choléra s'était abattu comme la foudre sur la colonne expéditionnaire.

A 8 heures il y avait déjà 150 morts et 350 agonisants. Il ne s'agissait plus de combattre, de chercher l'ennemi sans cesse disparaissant devant soi, mais bien d'échapper au fléau.

La colonne du général Espinasse qui s'était avancée jusqu’à Kargalick, avait été frappée comme celle du général Jusuf : morts et mourants étaient entassés sous les tentes.

L'ennemi n'avait pas paru et des cadavres jonchaient le sol de tous côtés, les fosses se creusaient, les terres remuées répandaient à l'infini des émanations pestilentielles, souvent les bras qui creusaient le sol s'arrêtaient avant d'avoir fini leur œuvre et celui qui tenait la pioche s'étendait silencieusement pour ne plus se relever, sur le bord de la fosse entr'ouverte.

Ceux qui vivaient encore étaient chargés sur des chevaux ou portés à bras par les soldats, les attelages de l'artillerie étaient encombrés de malades.

Cette nuit fatale fut la nuit du 29 juillet. Le lendemain, les deux colonnes se rencontrèrent, et la 1re division vit défiler le triste cortège du général Jusuf qui regagnait Kustendjé avec ses troupes, emportant ses malades sur les chevaux de ses cavaliers, affreux et triste spectacle ! La maladie avait courbé la tête des plus intrépides !

Ne pouvant mutuellement se secourir, il fallait éviter toute agglomération d'hommes. La colonne passa sans s'arrêter et continua sa marche sur Mangalia, laissant sur sa route, comme de funestes jalons, des fosses qui indiquaient le chemin.

A Gallipoli, les hôpitaux se remplissaient et les tombes se creusaient silencieusement autour des camps, les vivants d'aujourd'hui étaient les morts du lendemain.

Cet amas infect de maisons mêlées aux immondices de toute nature, que l'indolence des habitants du pays lassaient croupir au coin des rues, sur le seil des habitations, semblait un audacieux défi jeté à l'épidémie. Dans l'armée, autour des camps, dans les bivouacs, les mesures les plus rigoureuses de salubrité étaient prescrites, mais toute agglomération d'hommes porte en soi un germe funeste."