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Voilà, c'est le grand jour. Moi, André Breton, je vais faire mon devoir. Ce matin, 20 février 1845, je pars faire mon tirage au sort, celui de la classe 1844. Je ne pars pas seul. On est quatre gars de la classe 1844 dans la commune. On va y aller ensemble, avec le maire qui a sorti son écharpe de cérémonie, et le père qui vient avec les frères, et les pères et les frères des autres gars de la classe. On part tous à pied. C'est pas loin, on va au chef-lieu de canton, à six kilomètres. Le père dit que ça ne vaut pas de sortir la carriole. On est des hommes maintenant, enfin, on sera des hommes quand on aura tiré au sort.

J'ai mis mon beau costume du dimanche. La mère l'a bien dépoussiéré. Elle a bien frotté mon béret aussi, et j'ai bien craché sur les souliers pour qu'ils brillent.... sauf qu'avec la route, ils ne vont plus bien briller à l'arrivée. Voilà, c'est parti. La mère m'a bisouté en pleurant. J'aurais bien pleuré aussi, mais je suis un homme, enfin presque.

On a chanté tout le long de la route, des chansons d'homme, des chanson à boire. Les gars de la classe 1844 du village d'à côté nous ont rejoint au croisement de la source. Cela fait du monde.

Et on est arrivé au chef-lieu. Il faut se rendre à la mairie. Là, dans la cours, la fanfare municipale nous attend et joue la musique des fêtes, avec les mêmes fausses notes qu'à la foire de la Saint-Jean. Qu'est-ce qu'on avait rigolé de cela, à la Saint-Jean. Mais là, je n'ai plus envie de rire. J'ai les mains qui tremblent, mais je fais le brave.

On entre tous, dans la salle. Il y a une estrade avec des gens de la ville en costume et un militaire en grand uniforme, et les gendarmes aussi sont là. Et cela commence.

Ce sont les maires qui tirent au sort les premiers. Pour savoir quelle commune va commencer. Monsieur Gautier, le maire, tire le numéro 4. On va laisser les gars de Lancé, de Prunay et d'Authon tirer avant nous. C'est long. J'ai de plus en plus peur. J'entends les numéros qui ont été tirés et les premiers sont toujours dans l'urne.

Les frères ont eu de la chance, ils ont tous tirés des numéros de plus de quarante. Ils ont tous été exemptés. Mais le cousin Louis, lui, il avait tiré le numéro 1. C'était un gaillard de plus d'un mètre soixante-dix. Ils l'ont envoyé au 50e régiment d'infanterie de ligne. C'est le maire qui est venu l'annoncer à l'oncle et à la tante, que le cousin Louis, il était mort du typhus, à l'hôpital de Toulon. C'est où, Toulon ? Sûrement très loin parce que le corps, il est resté là-bas, trop cher de le faire revenir au pays.

Voilà, c'est mon tour. Je suis devant la table, je vois l'urne du coin de l'oeil. J'entends qu'on me pose des questions, mais ma tête, elle fonctionne plus bien. C'est le père qui répond pour moi. Il dit que je suis pas bien costaud, tout le temps atteint de la poitrine, à tousser. C'est bizarre, parce que la mère, elle est tellement fier que je sois jamais malade !!!! Mais je dis rien. On me fait passer sous la toise, j'entends 1.57 m. Le père ronchonne, elle est mal équilibrée cette toise, le gamin il fait moins que cela, mais personne ne l'écoute.

Voilà, c'est maintenant, je dois mettre la main dans l'urne, et choisir un papier, sans regarder. J'ai les mains moites, le coeur qui bat tellement fort que je crois qu'il va sortir de ma poitrine. J'attrape un billet, je n'ose pas le regarder. Je le tends à l'homme derrière la table. Il dit "numéro 30". C'est bien ou c'est pas bien ? L'an passé, le dernier numéro à être parti, c'était le 32.

Il va falloir attendre la convocation au conseil de révision pour savoir. Ce sera pas avant au moins deux mois, au printemps. Et si je suis bon pour le service, je partirai en octobre, après les moissons et les vendanges. Mais pour l'instant, le tirage au sort est fini. On va tous au bistrot boire un coup et écouter les anciens nous raconter "LEUR" tirage au sort et surtout leurs guerres.

Le vieux Hyppolite va nous raconter la Bérésina. C'est drôle comme nom. C'est là-bas qu'il a perdu ses doigts de pied qu'ont tous gelé. Et les filles.................. peut-être qu'on verra des filles se promener près du bistrot. Peut-être que je verrai la Jeanne, la fille du bourrelier. Elle est jolie, la Jeanne. Elle m'a bien souri à la Saint Jean.... je la marierais bien, la Jeanne, mais est-ce qu'elle attendra sept ans, si je pars à l'armée ?

Enfin, c'est fait, aujourd'hui, je suis un homme..............et pourtant....

 

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 21 février 2017