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Le 22 août 1870, l’ambulance de la presse, la numéro 2 de la société de secours est arrivée à Reims, mais ses voitures sont sur le train. Les cochers, ivres-morts, ont abandonné l’ambulance et le personnel soignant doit décharger les voitures lui-même. Heureusement, des artilleurs qui déchargeaient leur propre matériel leur prête main forte et, vers cinq heures du soir, l’ambulance a récupéré son matériel et est en capacité de suivre l’armée, le lendemain.

Elle doit se rendre à Heutrégiville, où campent le 12e corps.

Dès le matin du 23 août, la pluie s’en mêle et transforme la route en une couche gluante qui rend la marche pénible, aux hommes et aux chevaux. L’ambulance doit faire étape à Lavannes.

Ce n’est pas une armée au garde à vous. Un certain laisser-aller rôde sur les troupes. Beaucoup s’enivrent, dans les cabarets le long de la route. D’autres chassent, sans se soucier d’où vont leurs balles. Deux soldats en feront les frais : alors qu’ils sont en train d’allumer leur pipe, l’un a le crâne fracassé par une balle et tombe raide mort, l’autre a le cou traversé. Ce genre d’incident va se répéter, dans la soirée.

A Lavannes, les membres de l’ambulance évitent la nuit à la belle étoile (ou plutôt sous la pluie), hébergés par le curé, le maire et quelques habitants. Dès le lendemain, arrivés à Heutrégiville, le docteur Sée qui dirige l’ambulance vient se présenter au général Lebrun, qui apprend, par la même, que l’ambulance est rattachée à son corps. Décidément, la communication n’est pas le point fort de l’état-major.

Une dizaine de soldats sont tués par des tirs amis à l’affut d’un lapin à manger. Il faut la gendarmerie et une compagnie de tirailleur pour que cette hécatombe stupide cesse. Un soldat de suicide.

C’est un fait étrange que les membres de l’ambulance ont constaté : avant chaque bataille, des soldats se suicident pour ne pas combattre. Le corps est remis au maire.

Le 24 août, toute l’armée se dirige sur Rethel. Elle aura fait 32 km en deux jours !!!

A trois heures de l’après-midi, l’ambulance prend sa place dans la colonne en marche. Sous la pluie, sur des routes défoncées, la troupe continue la route pour Rethel et y arrive vers une heure du matin. L’armée y reste une journée, avant de reprendre sa route vers Tourteron, en passant par Amagne. Il pleut encore et toujours.

Arrivé à Tourteron, « presse française » qui figure sur les voitures doit être effacé. Il ne reste plus qu’ambulance. Celle-ci s’intègre donc encore plus à l’armée. La route continue : Chesne-le-Populeux, à onze heures du soir et bivouaque, sous la pluie et dans la boue.

Le lendemain, départ pour Beaumont. Il pleut toujours. La route est de plus en plus encombrée, les ivrognes et les trainards garnissent les bas-côtés.

Pour se protéger de la pluie, les soldats s’enveloppent dans la toile de leur tente, attachée et serrée par un bout. Ils ressemblent ainsi à des sacs de blés ambulants, pas à une fière armée.

Après Beaumont, ce sera Carignan, après avoir traversé la Meuse à Mouzon. C’est du moins ce qui est prévu. Ce n’est que le 30 qu’il arrive à Mouzon.

Mouzon-3

Il faut toute une journée pour traverser la Meuse, par l’unique pont de la commune. C’était compter sans les prussiens. Depuis quelques jours, ils sont déjà derrière l’armée française, tout près.

Alors que les soldats français traversent la Meuse, les prussiens attaquent à l’arrière. Fini la fatigue, la pluie, les pieds douloureux. Le personnel de l’ambulance s’organise dans l’hôpital de Mouzon, et les blessés affluent très vite. Le spectacle n’est plus le même : sang, membres mutilés, têtes fracassées et chirurgiens aux tabliers maculés de sang.

Emmanuel Domenech, l’aumônier de l’ambulance, prend l’omnibus et se rend sur le champ de bataille, dans le faubourg de Mouzon. Il y charge les blessés, le renvoie vers l’hôpital et, en attendant son retour, utilise tout ce qu’il peut pour évacuer les blessés : charrettes, voitures à bras, tout ce qui peut transporter un homme.

C’est la première fois, depuis son départ de Paris, qu’il est confronté directement au combat. Jusqu’ici, l’ambulance était arrivée après. Là, il est sous le feu des balles et des tirs d’obus, cherchant des blessés à sauver, risquant lui-même, à tout moment, d’être blessé ou tué.

Alors qu’il pénètre dans une cabane ciblée par une pluie de balles prussiennes, il y trouve un chirurgien-major en train de soigner un sergent, frappé à la tête, au bras et à la poitrine. Ils réussissent à monter l’homme sur une charrette, au côté de deux autres blessés. L’aumônier doit le tenir dans ses bras jusqu’à l’hôpital où des paysans les emmènent aussi vite qu’ils le peuvent. Il est temps, le faubourg est sous les tirs d’obus de l’armée prussienne. De retour à l’hôpital, Domenech y trouve les trente médecins en train d’extraire les balles, d’amputer des membres, de panser des blessures. La tâche ne manque malheureusement pas aux religieux. L’aumônier, le curé de Mouzon, ses deux vicaires, deux aumôniers d’infanterie de marine, l’abbé d’Hultz, aumônier volontaire, l’abbé Loizellier vont donner, jusqu’à une heure avancée de la nuit, l’extrême onction aux mourants.

Pour la première fois, l’ambulance de la presse est en contact direct avec le champ de bataille et les chirurgiens vont se conduire d’une manière remarquable, opérant sans se soucier des fusillades et des canonnades. Les français, dans Mouzon et sur les hauteurs tirent sur les Prussiens, dans le faubourg et la plaine le long de la Meuse. L’hôpital est entre les deux.

Mouzon-2

La bataille continue durant la nuit, à la lueur des incendies. Grace à un capitaine d’artillerie dont la batterie de mitrailleuse balayent le pont, six ou sept charges prussiennes sont repoussées, empêchant l’ennemi d’entrer dans Mouzon et permettant aux troupes d’évacuer la ville. L’armée n’ira pas à Carignan mais repart en arrière pour se porter sur Sedan, à douze km au nord de Reaucourt.

L’ambulance de la presse va rester à Mouzon, incapable d’abandonner les 1200 blessés qu’elle a recueilli durant et après la bataille. Il y en a partout, dans les couloirs, les escaliers. Il est difficile de ne pas marcher dessus. La nuit venue, les lumières ayant été éteinte pour ne pas attirer les tirs prussiens, le personnel dort là où il peut. Domenech se retrouve à dormir dans une mare de sang, à la gauche de deux fantassins grièvement blessés, et à la droite d’un infirmier, Bernard, terrifié, et du docteur Albenois, le marseillais.

Le lendemain, le curé met à leur disposition la cathédrale. Vers dix heures du soir, le sol des trois nefs, du chœur et des chapelles

Mouzon-1

latérales est couvert de paille sur laquelle sont étendu les hommes qui n’ont pas encore été soignés et ceux qui encombraient les couloirs et les escaliers de l’hôpital.

Ce transfert n’est pas sans danger. Ils doivent traverser la place, sous le sifflement des balles. A minuit, la cathédrale est pleine. Les vitraux de l’église renvoient les lueurs des incendies. Les chirurgiens y opèrent, à la lueur de trois cierges. Le personnel de l’ambulance n’est pas seul. Les sœurs de la Charité sont là, couvrant le sol de paille, apportant de la charpie, des pansements, et de la soupe.

Il est deux heures du matin. Presque tous les blessés ont été soignés, dans des conditions terrifiantes et bien peu hygiéniques, mais toutes les blessures ont reçu leur pansement. Cela fait plus de douze heures que le personnel de l’ambulance est sur le pied de guerre, sans avoir pris la moindre nourriture.

La canonnade reprend au petit jour. Le 88e de ligne, le 5e cuirassier et plusieurs détachements français se retrouvent piégés. Ils tentent de traverser les lignes prussiennes et la Meuse. Le colonel du 88e est grièvement blessé. Il décède à l’ambulance, quelques jours plus tard. Son régiment est écrasé. Ceux qui ne meurent pas sur le champ de bataille, se noient en tentant de traverser la Meuse. Le colonel du 5e cuirassier est tué à la tête de son escadron, au cours d’une charge désespérée. Ses hommes partageront le sort des soldats du 88e.

Les prussiens sont là. Ils fouillent l’hôpital, à la recherche de soldats non blessés, sans en trouver. Mouzon n’est plus que sang, gémissement et mort.

L’ambulance se partage alors en quatre escouades pour aller chercher les blessés, sur le champ de bataille. Les chirurgiens sont en tablier blanc, les infirmiers portent des brancards à roues, et ils se dirigent vers le faubourg. Ils traversent une première barricade, érigée par les français pour protéger leur retraite, puis une seconde, érigée par les prussiens. Après quelques pour-parler avec l’envahisseur, ils commencent à fouiller, les fossés, les fourrés, les cabanes. Mais les blessés, français et prussiens, ont déjà été relevé et conduit dans les maisons du faubourg. Les morts, eux, sont restés là où ils sont tombés. Ils ont tous été dépouillés, français et prussiens, unis dans la mort et le vol. Parmi les morts, ils trouvent quelques rescapés du 88e et du 22e de ligne, grièvement blessés. Pendant trois jours, après les soins donnés aux blessés, les membres de l’ambulance de la presse vont fouiller les alentours, et à chaque fois, trouver des blessés. Le dernier qu’ils trouvent est dans un grenier de la ferme de Gévaudan. Son bras cassé a été ouvert par plusieurs projectiles. Ses plaies sont dans un état de putréfaction avancé. Les prussiens qui l’ont trouvé les premiers, ont essayé de le soigner en versant de l’eau sur ses blessures. Mais cela ne suffira pas à le sauver de l’amputation. Les chirurgiens envisagent, un moment, de l’opérer sur place, mais renoncent. Aidé par des soldats prussiens, ils réussissent à la descendre de son grenier et à l’emmener à Mouzon. Il y sera amputé et survivra, guéri en trois semaines (le bras en moins).

Pendant que l’ambulance de la presse cherche des blessés dans la campagne et les soigne, les combats ont continués, jusqu’à Sedan, mais cela, c’est une autre histoire.

Le 1er septembre, Mouzon n’est plus qu’un lazaret. 700 blessés sont étendus à l’hôpital, l’église et l’école. Au faubourg, l’usine de M. Maret et les maisons particulières en accueillent plus de quatre cents. Huit jours plus tard, il reste encore huit cents blessés dont vingt-cinq prussiens. Les autres, plus légèrement blessés, se sont tous évadés en Belgique, pour éviter la captivité.

Les échos de la bataille de Sedan sont parvenus jusqu’à l’ambulance. Une partie part pour rejoindre ce champ de bataille. Ils arriveront à Bazeilles pour y voir les prussiens fusiller des civils, dont des femmes. Mais c’est une autre histoire.

Mouzon est, pour l’ambulance de la presse, le baptême du feu et la justification de son existence, porter secours aux blessés, quelque soit leur nationalité. Ce ne sera malheureusement pas son dernier champ de bataille. Quant à Lançon, il est aux premières loges pour ses dessins, d'un réalisme bien cruel pour les familles des soldats tombés ce jour-là.

 

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 23 août 2020