Souvent la signification du X est « je ne sais pas ».
Nos ancêtres qui apposaient leur marque en X sous les actes indiquaient ainsi non seulement leur présence mais également « je ne sais pas signer ».
Les enfants que l’on qualifie de né sous X portent aussi cette signification : « je suis né mais je ne sais pas qui sont mes parents ».
Et en 1870 ? Que veut dire ce X que l’on appose sur les morts ? « Je ne sais pas qui est ce mort ».
X pour inconnu que plus tard l’on glorifiera sous le terme du « soldat inconnu ».
1870, sinistre guerre comme une répétition ratée de ce que sera 14-18. Ratée car les couacs ne manquent pas dans cette guerre : absence d’organisation à tous les niveaux, depuis le quartier général, les officiers, les hommes de troupe, l’intendance, les soins, l’armement. Tout fait défaut dans cette guerre, excepté le courage et le don ultime de leur vie que ces hommes font à leur pays.
Les combats font rage et la petite commune d’Azé en est le théâtre à trois reprises : le 26 novembre, le 31 décembre 1870 et le 6 janvier 1871.
Au terme de ces combats, quarante-cinq jeunes soldats appartenant à l’armée de ligne ou à la garde mobile sont inhumés dans le cimetière d’Azé, dans une fosse commune à l’exception du capitaine Rohaut qui bénéficie d’une tombe individuelle.
L’armée prussienne occupe le territoire et aucun acte de décès n’est dressé pour ces soldats. Pas le temps non plus de les identifier. Les corps ont été dévalisés par les prussiens et les livrets militaires ont été retrouvés sur le champ de bataille, éparpillés au milieu des morts sans que l’on puisse les attribuer formellement.
Il y a même un officier allemand parmi eux qui sera aussi enterré au cimetière, Charles Stolpe Kuester, fils du consul de Prusse en Poméranie.
Tout ce que peut faire le maire, c’est relever les numéros matricules sur les vêtements et les effets trouvés sur les morts et sur le champ de bataille, en espérant que l’armée pourra reconnaître qui est qui. Cela fait en tout quarante-et-un numéros à attribuer, sans être certain qu’ils soient tous des effets de morts, plus quarante-deux livrets militaires pour un total de soixante-et-un soldats français.
Soixante-et-un soldats français passés par le champ de bataille dont quarante-cinq sont tombés au champ d’honneur. Soixante-et-un soldats ayant laissé sur le champ de bataille un vêtement, un livret, quelque chose de lui portant son numéro ou son nom. Mais les quarante-cinq sont-ils parmi les soixante-et-un ?
Etrange équation morbide qui mêle morts, livrets et matricules et dont l’inconnu X n’est qu’un gamin mort pour son pays.
Une partie des livrets militaires provient des compagnies disciplinaires et est envoyée par le maire à Bougie, au capitaine Pierron.
Les autres livrets sont restés à la mairie.
Puisqu’il ne peut dresser des actes de décès, le délai étant passé, le maire d’Azé, à la fin de l’année 1871, sur le registre de l’état civil, raconte, avec ses mots, comment le 6 janvier, 4 000 français luttèrent toute la journée contre plus de 25 000 prussiens. Lesquels prussiens réussirent à enlever la commune dont ils occupèrent toutes les maisons. Trente-sept corps de soldats français sont trouvés sur le champ de bataille au lendemain du 6 janvier et inhumés au cimetière d’Azé en présence d’un nombre notable d’habitants.
Parmi les victimes, neuf soldats du 33e régiment de marche, trois mobiles du Puy de Dôme, un mobile de la Mayenne, neuf mobiles des Bouches du Rhône, six de la compagnie de discipline et neuf X.
L’un d’eux pourra peut-être être identifié car il porte sur ses vêtements le numéro 4829 du 32e de ligne.
Mais pour les huit autres, rien, ni livret, ni matricule.
Ils rejoignent tous Bayol, mobile du Lot et trois autres X, tués au combat du 31 décembre 1870.
Quelques jours plus tard, un treizième X les rejoint, trouvé mort dans une grange au bord de la route. Il faisait probablement partie d’un convoi de prisonniers dirigés vers Vendôme et mort de ses blessures ou d’épuisement, ou des deux.
Treize X, treize « je sais qu’ils sont morts à Azé mais je ne sais pas qui ils sont », treize soldats inconnus qui reposent dans une même fosse, loin de leurs terres natales mais au côté de leurs compagnons d’armes « identifiés ».
Christine Lescène - Le blog d'une généalogiste - 28 juin 2016