Second siège de Paris :
Vers 5h30, une violente explosion a lieu à Paris, et une colonne épaisse de fumée d’élève dans le ciel, visible jusqu’à Versailles.
Une cartoucherie située dans l’avenue Rapp, entre le pont de l’Alma et le Champ de Mars vient d’exploser.
L’usine emploie principalement des femmes.
Miraculeusement, les mille cinq cents ouvrières (huit selon d’autres sources) ont quitté les locaux avant l’heure. Le massacre aurait été monstrueux. La cartoucherie occupe plusieurs hectares. Le feu a pris dans le dépôt des cartouches et s’est répandu dans tout l’établissement.
L’explosion envoie un gigantesque panache de fumée blanche qui couvre rapidement toute la rive gauche de la Seine. Puis l’incendie envahit les lieux. Les flammes s’élèvent jusqu’à vingt mètres au-dessus des toits. Les cartouches explosent les unes après les autres, donnant l’impression d’une gigantesque fusillade. Les balles projetées en l’air retombent alentours, sur le Trocadéro, à Auteuil, à Passy, à Grenelle et jusque sur l’avenue du Roi-de-Rome.
Les vitres des maisons sont soufflées par l’explosion dans tout le quartier, à l’Ecole militaire, sur tout le parcours de la Seine entre les deux ponts, à la rue Boissy-d ’Anglas. Les trottoirs sont couverts d’éclats de verre et de bourres de cartouches. A l’hôpital proche d’une centaine de mètre, c’est la panique. Religieuses, domestiques, malades, infirmiers, tous s’enfuient dans un sauve-qui-peut général. Quelques réfractaires à la commune en profitent pour s’esquiver en douce. En vingt-cinq minutes, les cinq cents malades et blessés sont évacués et transférés aux Invalides. Vingt infirmiers et deux malades sont légèrement blessés.
Quatre maisons de cinq étages sont détruites, beaucoup de bâtiments sont détériorés par le souffle de l’explosion. Les chevaux échappés des écuries, affolés par le feu et le bruit, ajoutent à la confusion générale.
De tous les quartiers, les compagnies de sapeurs-pompiers affluent vers le lieu de l’accident, ainsi que les ambulances et une foule d’habitants.
Impossible de rétablir l’ordre dans la panique qui a saisi les parisiens. La guerre contre les prussiens est encore dans toutes les têtes, la guerre civile est toujours là. Mais la vue des blessés qui arrivent calme la foule. Ils arrivent en se traînant d’eux-mêmes, aidés par d’autres moins blessés. Ils arrivent transportés dans des voitures, des tapissières, des omnibus, des ambulances, tout ce qui peut rouler.
L’explosion a fait plus de deux cents victimes, hommes, femmes et enfants.
Les premiers soins sont donnés en plein Champ-de-Mars. Pansés provisoirement, ils sont mis à l’abri. Les bancs des Champs-Elysées accueillent les victimes en état de choc, prostrés.
Des blessés sont amenés à l’ambulance de Cours-la-Reine par les voitures de la société de secours aux blessés, sous la conduite du comte de Beaufort. Les victimes souffrent de brûlures plus ou moins graves. Une salle de l’ambulance est ouverte pour les recevoir, et faute de place, certains sont provisoirement installés avec les blessés de guerre.
A l’hôpital du Gros-Caillou, un boulet est entré dans le poste et a blessé des gardes nationaux qui s’y trouvaient. A l’hospice militaire, des bombes et boîtes à mitraille sont tombées, blessant des infirmiers et des gardes.
Au Champ-de-Mars, dans la baraque n°56 où cantonne le 228e bataillon de marche, plusieurs balles ont atteint des gardes au visage, aux bras. Certains hommes sont grièvement blessés.
Martin Lehmann, vingt-six ans, de Haguenau, Bas-Rhin, soldat au 35e de ligne, déjà blessé aux deux cuisses par deux coups de feu à Champigny, est une nouvelle fois blessé lors de l’explosion de la cartoucherie. Il souffre d’enfoncement du sinus frontal et perd la vision à droite.
Le chef d’état-major du général La Cecilia, ancien médaillé militaire et capitaine dans l’armée de la Loire, est blessé par un éclat à la main et une balle dans le genou, alors qu’il est devant la porte du quartier de cavalerie.
Très vite, ce ne sont plus des blessés que les voitures amènent, mais des cadavres affreusement mutilés.
Une baraque est construite à la hâte pour recueillir les débris humains qui sont trouvés un peu partout : des membres, des têtes, projetés loin du lieu de l’explosion.
Les pompiers réussissent à maitriser l’incendie, avec l’aide de la population, faisant la chaîne pour amener l’eau jusqu’au sinistre.
La commune tente de récupérer l’accident en accusant le gouvernement de Versailles d’avoir orchestré cette explosion et prétend même avoir arrêté quatre des coupables. Mais il ne s’agit que d’un accident, probablement dû à un défaut de sécurité.
Cela faisait des jours que le colonel Razoua, qui commande l’école militaire, demandait que la poudrière soit déplacée, la jugeant trop dangereuse dans cette zone habitée.
Si les quartiers alentours ont souffert, sur les lieux mêmes, c’est un spectacle désolé qui règne. Le sol de la cartoucherie est jonché de débris, de plomb fondu, de lambeaux de vêtements, de souliers et de débris humains. Il n’est rien retrouvé des vingt gardes nationaux postés à cet endroit. Une centaine de baraques sont détruites par l’explosion et l’incendie qui a suivi. Les maisons alentours qui ne sont pas encore en ruine menacent de s’écrouler à leur tour.
A huit heures du soir, le feu est éteint. Mais seul un tiers des réserves explosives ont été détruites. La poudrière n’a pas sauté. Seule la cartoucherie a explosé. C’est le deuxième miracle de la journée, avec le départ avant l’heure des ouvrières.
A Neuilly, Auguste Marie Richard, du 2e chasseurs à pied a le cubitus droit fracturé par un coup de feu.
Au bois de Boulogne, Pierre Loisy, soldat au 37e de ligne, est atteint au dos par des éclats de boîte à mitraille.
A Issy, Victor Louis Valenchon, vingt-un ans, de Paris, soldat au 23e de ligne (ou 17e chasseurs), est touché au mollet gauche par un coup de feu. Jean Marie Jullien, soldat au 89e de ligne, est touché au bras droit par un éclat d’obus.
A Vanves, Casimir André Tastevin, vingt-sept ans, de Balazuc (Ardèche), soldat au 39e de ligne, a la jambe gauche fracturé et la main gauche blessée par des éclats d’obus. Il doit être amputé de l’annulaire et sa jambe restera paralysée.
A Ulm, en captivité, François Galloyer, de Montreuil, Sarthe, soldat au 10e de ligne, décède du typhus.
Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 17 mai 2021