A Blois, les habitants des deux rives peuvent passer en barque, munis d’un laissez-passer. La passerelle est rétablie sur le pont.
A janville, Léon de Maricourt accompagne le corps de Pierre Cyprien Coutable à la chapelle et au cimetière. La neige est à demi fondue, le ciel gris de plomb. Le vieux curé marche en tête, la soutane retroussée, le cache-nez roulé autour du surplis.
Le cercueil est couvert de la capote maculée et du képi, jadis blanc, du jeune mobile.
Une vingtaine de pauvres hères, pâles, maigres, grelottants dans leurs guenilles d’uniformes de toutes les couleurs, le képi déformé tombant sur les oreilles, l’accompagnent à sa dernière demeure. Les uns traînent leurs béquilles, les autres soutiennent d’une main leur bras en écharpe ; les plus faibles s’appuient sur les plus valides.
Triste cortège pour rendre hommage à un frère d’arme inconnu, mort vaincu, prisonnier, loin des siens, comme se sera peut-être leur tour demain.
Au cimetière, une longue rangée de tertres fraîchement élevés se trouve entre les monuments de pierre et les vieilles tombes. C’est là que dorment leurs compagnons : Fouquet, Deschênes, Charnod et tant d’autres. Le cercueil de Coutable est descendu dans un trou béant au bout de la rangée. C’est fini.
A chaque enterrement, ils sont là, les habitants de Janville, en foule, rendant hommage aux jeunes hommes tombés pour leur pays.
Louis Pierre Cyprien repose toujours là, dans le cimetière de Janville, dans une tombe collective où reposent onze autres victimes de cette guerre. Ils y ont été rejoints, cinquante ans plus tard, par trois poilus morts à l’hôpital 18, de Janville.
L’armée de l’Est est acculée à la frontière Suisse. Le général Clinchant et le général suisse Hans Herzog négocie pour sauver ce qui reste de l’armée française, de la captivité.
Les français sont autorisés à pénétrer sur le territoire suisse, avec armes et bagages. Arrivés sur le territoire helvétique, ils doivent déposer leurs armes et rester internés jusqu’à la paix, suivant la convention de Verrières. Mais pour cela, il faut atteindre la frontière.
Des combats ont lieu à Pontarlier, la Cluse, Joux. Le 18e corps et la réserve Pallu de la Barrière couvrent la fuite de l’armée vers la Suisse.
Au col de la Cluze, de onze heures du matin jusqu’à minuit, près de la cabane du chemin de fer qui marque le tournant du col, les hommes se fusillent à vingt pas. L’armée de Manteuffel, engagée presque entièrement dans la trouée de Pontarlier et sur les crêtes subit de lourdes pertes.
Les soldats français, cernés de toutes parts, s’arrêtent souvent dans leur retraite pour combattre et ne se replient que lorsque le nombre de prussiens les dépasse. Ils sont harassés, exténués, affamés et frigorifiés, beaucoup sans souliers mais la retraite est meurtrière pour l’ennemi. Le terrain est jonché de cadavres prussiens, d’armes brisées. La boue et la neige sont gorgées de sang.
Les pertes françaises sont tout aussi cruelles. Le 29e de marche et l’infanterie marine souffrent.
Pendant ces combats où la réserve tente de préserver la retraite française, l’armée continue à marcher vers la Suisse. Les routes sont encombrées ; La neige bloque les passages et il faut attendre le tour de chaque régiment, rester stationnaire dans le froid, exténués, sans pain, ni même de munition pour se défendre. Et pourtant, l’ennemi continue de canonner ces masses d’hommes qui ne les menacent plus. Même les voitures d’ambulance sont la cible des artilleurs prussiens, sans respecter la convention pourtant signée.
La plupart de ces soldats français sont des mobiles et des volontaires. Cela fait trois semaines qu’ils dorment dehors, dans le froid et la neige. Le long de cette route infernale, des cadavres de chevaux montrent de longues entailles, pratiquées par les soldats affamés. D’autres rongent l’écorce des arbres.
Cavalerie, artillerie, et infanterie mélangées passent à travers des amas de rochers et des précipices. Les bagages, caissons, canons démontés jonchent le sol et encombrent encore plus les routes.
Les hommes tombés d’épuisement ou sous les tirs prussiens restent là, sur le sol, sans sépulture. Leurs corps sont bientôt recouverts de neige et ne seront retrouvés qu’au printemps.
Arrivés devant le fort de Joux, l’armée se divise en trois colonnes pour atteindre la Suisse par les routes des Rousses, des Fourgs et des Verrières.
90 000 soldats français réussissent à passer la frontière. 15 000 s’échappent au sud, par la montagne, et sont ralliés à Gex par Cremer qui forme un nouveau 24e corps.
Il fait relativement doux, près de 10 degrés. La plupart des soldats ne sont plus vêtus que de couvertures et ne sont plus chaussés. 6 000 vont être immédiatement hospitalisés, apportant, avec elle, toutes les maladies d’une armée en campagne.
Sur toute la frontière, pratiquement toutes les maisons se convertissent en ambulance pour accueillir les soldats français. La Suisse est terre d’accueil. La population afflue de toute part pour nourrir, vêtir, soigner ces pauvres hères qui passent la frontière, épuisés, désespérés, affamés.
A Belfort, les prussiens bombardent les Forges avec des canons de campagne depuis la mi-côte d Salbert, sans résultat. Dans la soirée, ils essayent, encore une fois, de prendre les Perches. Au bout de deux heures de combat, ils renoncent.
La maison de M. Lang, au faubourg, est en feu. La nouvelle de la capitulation de Paris arrive, mais Belfort n’est pas compris dans l’armistice.
A Bitche, dans la nuit du 31 janvier au 1er février, les sentinelles du château signalent un feu sur la ligne de chemin de fer. Jusqu’à l’aube, l’artillerie envoie des projectiles dans cette direction. Alors que la dernière bordée part, un officier ennemi arrive à cheval, au galop mais il ne peut s’approcher sous le feu de la forteresse, alors il repart.
Une heure plus tard, un parlementaire s’annonce. Il vient leur dire de cesser le feu car un armistice a été signé. Mais, pour les assiégés, Paris n’est pas la France et la guerre doit donc continuer.
Malgré les démonstrations de l’émissaire, une dépêche du gouverneur de l’Alsace-Lorraine, pour Bitche, la guerre continue sans un ordre formel de son gouvernement. C’est l’armée qui le veut. Sans un ordre officiel du ministère de la guerre, le combat doit continuer.
Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 1er février 2021