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Le soldat inconnu

Les mots sont déjà suffisant pour que je n'y rajoute rien alors je vais me contenter de retranscrire le témoignage d'un médecin, Jean Charles Chenu, recueilli au chevet d'un zouave.

RaczynskiAleksander

"A l'assaut du 18 juin, près de la batterie de la Pointe, un zouave a le pied presque complètement coupé par un éclat d'obus ; l'avant-pied tient encore par un lambeau. L'homme tombe et perd connaissance. L'assaut n'ayant pas réussi, la colonne rentre dans le ravin, laissant sur le terrain une partie de ses blessés. Quelle a été la durée de l'évanouisssement ? Le zouave ne le dit pas, mais il faisait grand jour quand il revient à lui. Le feu des Russes continuait et le passage des projectiles ne lui permettait pas d'essayer de se mettre debout. Le pied était engourdi plutôt que douloureux. Le blessé cherche à se traîner dans la direction du ravin ; déjà il a rampé pendant quelques instants avec assez de succès, mais l'extrêmité de son pied traîne sur le sol et le gêne considérablement ; il s'arrête, réfléchit un instant et se décide à se débarrasser de cette cause de douleur qui met obstacle à sa retraite ; il prend son couteau, se courbe sans se relever et coup la bride qui retenait l'avant-pied. Un peu de terre ramassée et rassemblée au milieu de sa ceinture, transformée en compresse, devient un appareil assez ingénieux, mais encore insuffisant, qu'il maintient en croisant les extrémités de la ceinture autour du pied et de la jambe. Il continue alors à ramper et reconnaît deux ou trois hommes de son régiment parmi les cadavres quil rencontre. Ses forces semblent lui revenir d'une façon inespérée, mais avec elles, le retour d'une circulation plus active ; le sang s'échappe avec plus d'abondance de la plaie ; il calcule la distance qu'il a encore à parcourir et craint que l'hémorrahgie ne lui permette pas d'arriver. Il s'arrête de nouveau un instant et se dirige toujours en rampant vers un de ces cadavres : il prend le mouchoir du camarade, qui n'en a plus besoin et deux cartouches, dont il applique les balles cylindriques à la partie interne de sa jambe et qu'il tient serrées à l'aide du mouchoir sur le point qu'il suppose correspondre à l'artère. Ce compresseur de circonstance ne diminua peut-être pas sensiblement l'hémorragie, mais il rendit confiance au blessé.

Si ce moyen était insuffisant, il donne cependant une idée de l'énergique intelligence de celui qui a su l'employer et c'est lui-même qui m'a donné tous ces détail.

Je regrette d'avoir oublié son nom et je crains qu'il soit mort, car je ne trouve parmi les amputés de la jambe ou du pied aucun nom ni aucun renseignement qui puissent me le faire reconnaître."

Il s'agit de l'attaque du 18 juin 1855, à l'assaut de Malakoff et du petit Redan, qui fait 1370 morts, 1765 blessés et 416 disparus dans les rangs de l'armée française.

A-t-il survécu ? souhaitons-le, car le volonté de vivre, il l'avait.

Christine Lescène - Le blog d'une généalogiste - 16 mars 2016