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La défense de Saint-Agil

Durant la guerre de 1870, les hommes aptes à prendre les armes étaient divisés en plusieurs groupes : les hommes en service actif déjà dans l'armée et la garde mobile pour le front, la garde mobilisée et la garde nationale sédentaire, pour défendre les communes.

A Saint Agil, la garde nationale restée sur place, sous les ordres de Paul de Saint Maixent, n'avait pour se défendre que des armes en mauvaise état et des munitions en nombre insuffisant. Les hommes durent eux-même fondre des balles et acheter de la poudre.

Ils savaient pertinemment qu'ils ne pourraient pas se battre comme l'armée allait le faire, mais connaissant bien le terrain et les haies du perche, ils espéraient retarder l'ennemi par un combat en tirailleurs.

Le 24 novembre 1870, vers une heure de l'après-midi, à la croix de l'étang, des éclaireurs prussiens arrivèrent, suivis de six à huit cent hommes d'infanterie et de cavalerie bavaroise.

Les cinquante gardes nationaux de Saint Agil ouvrirent le feu et réussirent à mettre en échec les bavarois pendant quatre heures, puis ils se dispersèrent dans la campagne pour s'y cacher.

Ils avaient perdu Théodore Lemoine, trente-huit ans, marié, tué à bout portant, son fusil lui ayant fait défaut trois fois. François Chevalier, quarante-huit ans, fut laissé pour mort, l'épaule traversée d'une balle.

Marin Lucas, trente-huit ans, reçut un coup de lance au côté mais il fut protégé par l'épaisseur de son ceinturon, Julien Daguenet fut blessé au pouce en parant un coup de sabre dirigé sur sa tête, Jean Courtemanche, cinquante-neuf ans, reçut aussi un coup de sabre à la tête mais son képi le préserva.

Trois furent capturés, Eugène Hiret, sergent, et son fils Gaston, Louis Hyacinthe Chevalier, emmenés comme prisonniers de guerre. Ils réussirent à s'échaper d'un convoi de près de cinq mille prisonniers de guerre, à Chevreuse.

Un des habitants, le père Renvoisé, chez lequel les bavarois trouvèrent des armes fut emmené à Epuisay où il subit avec trente-huit autres victimes, ce que l'on a appelé la bastonnade d'Epuisay.

Deux autres habitants qui ne faisaient pas partie de la garde nationale furent tués au bord du chemin de Souday : Laurent Lubineau, cinquante-huit ans, marié et Modeste Emonet, cinquante-six ans, veuf.

Et le village fut envahi et le maire Georges Trecul de Renusson pris en otage. Le maire de Saint Agil comme premier officier de la commune est gardé au centre du village, au milieu des troupes, jusqu'à la tombée de la nuit. Nous sommes en novembre, l'hiver s'annonce rigoureux. Le maire faiblit mais l'officier prussien le menace : "si vous bougez encore, je tire sur vous". Difficile d'être plus clair.

Le maire est relâché pour la nuit et doit s'occuper des réquisitions de l'occupant, même si celui-ci a largement commencé à se servir. La maison du maire est remplie d'officiers allemands et à l'instant où M de Renusson rentre chez lui, un coup de fusil est tiré qui rase les fenêtres de sa maison.

Panique et colère chez les prussiens et en représaille immédiate le maire est arrêté : c'est l'otage de la commune. Il est conduit à la maison Grandin qui sert de poste à l 'ennemi. Le secrétaire de mairie, François Richebert,  l'y suit volontairement et une nuit difficile commence pour eux.

Deux militaires sont faits prisonniers aux alentours : un mobilisé de Souday, Eugène Haye et un franc-tireur du Gers. C'est sur ce dernier que la hargne des prussiens va s'exercer. Pour eux, les franc-tireurs ne sont pas de vrais soldats. Roué de coups il finit par leur dire ce qu'ils veulent savoir : qui a tiré sur la maison.

Il ne s'agissait pas de la garde nationale de Saint Agil mais du sous-préfet de Vendôme qui, avec 180 mobilisés et une quarantaine de francs-tireurs, avait ordonné ce coup de feu sur une sentinelle. Il croyait que Saint Agil n'était occupée que par quelques uhlans. Une erreur de jugement qui aurait pu coûter cher aux habitants de la commune. A la place, les prussiens chargèrent sur la grand-route  et les français s'enfuirent devant une force largement supérieure, abandonnant dans leur fuite munitions et équipements encombrants.

Deux hommes furent tués dans cette charge, Pierre Dupas, mobilisé de Souday, garçon meunier de vingt-sept ans et un franc-tireur qui ne put être identifié, ne portant pas de livret. Sur lui, un mouchoir marqué L.M. et des vêtements rappelant ceux des francs-tireurs, il a été atteint de plusieurs balles et semble avoir trente ans. Le maire suppose qu'il fait partie des francs-tireurs du Gers.

Un troisième homme, Trochu, mobilisé d'Arville, est blessé d'une balle et passe la nuit dans un fossé.

Les morts sont apportés chez le maire le lendemain. Ils sont enterrés le 25 novembre, vers neuf heures du matin. Au même moment, l'armée prussienne, sous les ordres du général bavarois Von der Tann, se dirige vers Courtalain et Chateaudun. 25 000 hommes traversent la commune, durant quatre jours et quatre nuits (jusqu'au 27 novembre). Toutes les maisons sont mises à sac.

Un vieillard a sa montre volée, arrachée de son gilet, d'autres sont jetés à terre pour être dépouillés de leurs chaussures. Brutalité, pillage et violence sont subis par les habitants de Saint Agil.

Une quinzaine d'hommes de la campagne sont fait prisonniers le dernier jour au soir et emmenés devant le pont du château de Saint Agil. Aucun n'est de Saint Agil et la vicomtesse douairière de Saint Maixent demande leur libération.

Les souffrances du pays vont durer jusqu'à l'armistice qui sanctionne le canton d'une rançon de 257 000 francs. Le maire, monsieur de Renusson, fait partie des deux élus du canton chargés d'aller plaider leur cause à Blois, auprès du préfet prussien. Leur compte rendu de la situation amène celui-ci à dire "si vous avez été pillés à ce point, versez-nous du moins tout l'argent qu'on pourra recueillir". Cela se réduit à quelques centaines de francs recueillis avec une lenteur extrême et extrêmement voulue.......... et l'armistice est là.

La fin pensez vous ? pas vraiment, juste la fin de l'occupation car le pays est ruiné, pillé et la faim et les épidémies vont porter un autre coup, plus sournois, à une région déjà à genoux.

Christine Lescène - Le blog d'une généalogiste - 19 et 22 avril 2016