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Pour les 500 ans de la ville du Havre, j'ai décidé, à ma manière, de rendre hommage à la ville de mes ancêtres en indexant les "morts pour la France" du livre d'or de la première guerre mondiale. Et je commence par la lettre A (logique) et là, je tombe sur un soldat inscrit sur le livre d'or et dont le nom est rayé avec la mention "militaire vivant".

Forcément, la curiosité m'oblige à aller voir pourquoi ce brave soldat a été déclaré "mort pour la France" avant de ressusciter.

Qui n'a pas été traîner ses yeux dans les feuillets matricules de la première guerre ne peut pas savoir quelle galère c'est. Entre les faits écrits dans un ordre non chronologique, les erreurs barrées, les faits amnistiés barrés, les rajouts au crayon de papier, les petits papiers collés de travers par-dessus d'autres notes..... on passe parfois un temps certain et un certain temps avant de comprendre tout ce qui est écrit............. et parfois, on ne comprend pas tout !!

Voici ce que j'ai pu comprendre de la lecture du feuillet matricule d'Eugène Jules Aubery, rayé par erreur et mis "Mort pour la France".

Eugène Jules, né le 2 septembre 1886 au Havre, menuisier, fils de feu Henri Jules Alphonse Aubery et Eléontine Victorine Bréhault, a les cheveux et sourcils blonds, les yeux bleus (un vrai normand quoi !!), le front large, le nez moyen, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale et il mesure 1.62 m. Il sait lire et écrire.

Il est engagé volontaire le 3 août 1906 et incorporé au 129e régiment d'infanterie, pour trois ans. Là, un petit bout de papier cache ce qu'il y a dessous  mais je subodore une petite sanction disciplinaire puisque la suite, non censurée, indique "2e classe pour manque habituel d'autorité".

Il passe au 36e régiment d'infanterie le 29 avril 1908 et parti, rayé des contrôles de l'armée, le 3 mai 1908, pour arriver au 36e régiment d'infanterie le 4 mai 1908 (un peu flou tout cela) comme soldat de 2e classe jusqu'au 2 septembre 1909, date à laquelle il est renvoyé dans ses foyers avec certificat de bonne conduite.

Il est rappelé à l'activité par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, arrivé au corps le 4. Il est cité à l'ordre du régiment le 24 septembre 1914 pour "malgré un violent bombardement, et une vive fusillade, a continué à assurer la liaison avec la compagnie". Il est blessé par éclat d'obus près du coeur le 24 décembre 1914 (joyeux Noël) puis blessé par éclat d'obus aux jambes le 26 janvier 1915 (superbes étrennes) et évacué le jour-même ce qui lui vaut la croix de guerre.

Il est de retour aux armées le 23 mars 1915. Il passe au 129e régiment d'infanterie le 14 décembre 1916 (sauf que la colonne des corps d'afffectation indique : régiment d'infanterie de Caen puis régiment d'infanterie de Rouen Nord, puis 74e régiment d'infanterie le 4 décembre 1915) et là, est marqué : interruption de service du 17 août 1917 au 1 avril 1919.

Cette date du 17 août 1917 est la date présumée de son décès indiquée sur le livre d'or.

Je soulève le petit bout de papier (en fait, je ne soulève rien, il est en ligne, je vais juste à la photo suivante, mais en d'autres temps, quand les registres étaient accessibles, j'aurais soulevé !!) et je fais un petit retour en arrière.

Il a été condamné par le conseil de guerre, le 11 décembre 1916, à deux mois de prison avec sursis pour désertion à l'intérieur en temps de guerre, cassé de son grade (je n'ai pas vu qu'il avait eu un grade au-dessus de 2e classe !!) et envoyé dans un autre régiment. Apparemment il a oublié de rentrer de permission !!! mais avec sursis donc, on a du lui trouver des circonstances atténuantes. Et le tout est barré en rouge sauf le fait qu'il ait été cassé de son grade.

Et c'est là que ça part en cacahouète !!! il est porté disparu le 17 août 1917 à Bezonvaux dans la Meuse (avis de disparition 3423K du 31 octobre 1917) (non barré), puis marqué décédé le 17 août 1917 à Bezonvaux avec avis de la mairie du Havre (barré en rouge).

Et c'est tout. Juste interruption de service du 17 août 1917 au 1 avril 1919 et rien d'autre. Pas de jugement, pas d'explication. Je reste sur ma faim.

Son nom est barré sur le feuillet matricule et rectifié avec la mention "rayé par erreur" datée du 10 mars 1939, signé Blandin. Un certificat provisoire lui a été délivré le 21 mars 1939 sous le numéro 25283 (probablement lorsqu'il a demandé sa carte d'ancien combattant). C'est le même Blandin qui a barré en rouge la mention décédé.

Par curiosité, je vais vérifier l'état civil du Havre et je trouve un jugement déclaratif de décès à son nom, en date du 7 octobre 1921 et transcrit dans les registres de décès où il est indiqué époux de Marthe Blanche Santais. Une mention en marge indique "par jugement du tribunal civil du Havre rendu le 12 mai 1938 et transcrit le 24 mai, le jugement déclaratif de décès ci-contre est annulé".

Et c'est tout !!!

Ah si, j'oubliai, le 18 janvier 1939, il est indiqué domicilié à Cannes 06 et tout en bas, au crayon de papier "le bulletin de décès a été retourné à la mairie du Havre le 10 mars 1939 sous le numéro 252". Avis aux amateurs qui peuvent aller à la mairie du Havre pour vérifier.

Sauf que le monument aux morts du Havre a été inauguré en 1924 date à laquelle Eugène Aubery est considéré comme "Mort pour la France" et après vérification, effectivement, il est bien marqué sur le monument aux morts.

Que lui est-il arrivé le 17 août 1917 lors des combats de Bezonvaux ? Et après ? Pourquoi sa famille, qui a forcément été informée par la mairie du Havre du jugement déclaratif de décès n'a-t-elle rien dit ? Parce qu'il était déserteur et qu'il fallait le cacher ? Parce qu'ils ignoraient où il était ?

Tout cela me tracasse alors je gratouille encore un peu et je trouve qu'il a eu un fils, William, en 1910. Pas de mention marginale de "pupille de la nation" mais une mention de mariage en 1935 au Havre et là, bingo, au mariage de William, en 1935, le père est déclaré décédé.

Alors qu'il vit en 1939 à Cannes donc Eugène a pris la poudre d'escampète et plaqué l'armée, la guerre et sa famille.

Sacrée histoire non !!!

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 9 janvier 2017