• Description

Tous les mobiles ne sont pas rentrés dans leurs foyers après leur « démobilisation ». Un certain nombre d’entre eux gît sur un lit d’hôpital, souvent loin de chez eux. Et ils meurent des suites de la guerre, de leurs blessures, des maladies qu’ils ont contracté pendant la guerre, ou même, pendant qu’ils étaient soignés pour leurs blessures.

Jean Baptiste Mathelie, mobile de le Côte-d’Or, décède à Angoulême.

A Mayence, en captivité, Alphonse Hivaur, de Tranqueville, Aisne, soldat au 2e zouaves, décède du typhus. Benaamad Abdelcader, d’Alger, soldat au 2e tirailleurs, décède de pneumonie.

Ce jour, 22 avril 1871, Nicolas Vagner, soixante ans, fait un douloureux pèlerinage à Loigny.

Son fils, Charles Marie Vagner, vingt-deux ans et dix mois, a disparu le 2 décembre lors de la charge héroïque du 1er bataillon de zouaves pontificaux. Il était sergent, décoré de la médaille d’or et de la croix de Mentana. De retour de Rome avec son bataillon, il a fait les deux campagnes d’Orléans, avant de disparaître à Loigny, par une glaciale journée bien éloignée de ce jour de printemps.

Son père espère toujours, contre toute attente, que son fils soit encore en vie, quelque part, dans une ambulance, un hôpital, soigné dans une maison particulière. Mais au fond de lui, cinq mois après les combats, il sait que son fils est mort. Mais où est-il ?

Nicolas Vagner est venu sur place, pour avoir des réponses. Mais avant cela, il s’est rendu à Versailles, pour rencontrer les autres zouaves. Il arrive là-bas pour apprendre la mort de Guerrier de Dumast, zouave pontifical survivant de la guerre contre le Prusse, tué par un obus français. Il n’apprend rien de nouveau sur son fils, alors il part pour Orléans. Il y fait le tour des ambulances, compulse la liste interminable des blessés et malades qui y ont été soignés sans succès. Il rencontre M. de Roscöat. Ce dernier a visité les champs de bataille, et lui apprend qu’il est pratiquement officiel que son fils est bien décédé à Loigny et que son corps repose dans une fosse commune, avec quinze de ses compagnons d’armes.

Le malheureux père continue son terrible pèlerinage et retrace toutes les étapes suivies par son fils, en passant par Patay, avant d’arriver à Loigny. Ce jour-là, sur les 300 zouaves présents, 198 sont tombés lors de l’assaut du petit bois. A leurs côtés, sont tombés 110 gardes-mobiles des Côtes-du- Nord, 30 francs-tireurs de Tours et deux de leurs officiers, 28 francs-tireurs de Blidah et deux de leurs officiers.

Mais Nicolas Vagner n’est pas encore arrivé là. Il fait un détour par Terminiers, où l’on a trouvé le livret militaire d’un zouave de Bruyères, dans les Vosges, Charles Ganaye. Il souhaite récupérer ce livret pour le rendre à la famille. L’instituteur de Terminiers lui apprend qu’un officier de zouaves, M. Le Gonidec, est là, dans la région. Il y mène une enquête minutieuse sur le sort de tous ses compagnons d’armes. C’est lui qui indiquera à Nicolas Vagner, où se trouve la tombe de son fils.

Dix-neuf zouaves sont enterrés au cimetière qui entoure l’église, vis-à-vis du grand portail.

Alors que son corps allait être descendu dans la fosse commune, il a été formellement identifié par le caporal Chotard. Depuis, quatre corps ont été exhumés. Sur les quinze restants, Charles Vagner est du nombre, identifié une seconde fois lors des exhumations, par ses galons de sergent.

Après s’être recueilli sur la tombe, le pauvre père cueille les quelques brins d’herbe qui ont réussi à pousser, pour les donner à sa femme. Il se rend ensuite dans l’église. Une forte odeur de cadavre y règne encore, malgré le temps. D’énormes taches noires de sang souillent son sol. Il faut bien 3 000 francs pour réparer l’église, d’après le curé. Mais la petite ville est en ruine, l’église n’est pas la priorité des habitants. Quarante-deux maisons sont détruites, brûlées. Tout a été consumé : meubles, provisions, récoltes. La misère règne sur Loigny. Au cimetière, où les combats se sont terminés, les pierres tombales ont volé en éclats, les croix de fer sont tordues. Une fosse commune porte la seule inscription : « soldats français ».

Le père pense alors que l’église elle-même pourrait être un monument en mémoire de tous ces jeunes gens morts sur le champ de bataille.

Mais son pèlerinage n’est pas fini. Il se rend au petit bois où son fils est tombé. Les balles ont littéralement haché les arbres. Des fragments de lettre, des morceaux de cuir et de vêtements, des débris de casque et de pots de camp bosselés jonchent le sol. Un peu partout autour de lui se trouvent des tumuli de terre sur la plupart desquels les habitants ont mis une petite croix en bois.

Cette fois, sa quête est achevée. Son fils est tombé là, le 2 décembre 1870. Ses questions ont trouvé des réponses.

Avant de rentrer à Nancy, il repassera par Orléans, où le spectacle de la cathédrale lui fendra le cœur : pilier noircis par la fumée des feux, noms prussiens gravés au couteau sur les murailles. La cathédrale a servi de bivouac aux troupes allemandes.

De retour chez lui, Nicolas Vagner n’aura de cesse de rassembler la somme nécessaire, ainsi que les autorisations et les soutiens, pour que l’église de Loigny soit rebâtie et érigée en monument à la mémoire de tous les soldats tombés ce jour-là.

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Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 22 avril 2021