• Description

La guerre de 1870, comme malheureusement toutes les guerres, a laissé beaucoup de familles dans le deuil, et un certain nombre dans l’attente d’un retour qui n’est jamais arrivé.

Même s’ils avaient leur livret militaire sur eux, lorsqu’ils sont tombés sur le champ de bataille, les pillards, qu’ils soient prussiens ou français (et oui, il y en avait aussi), les ont dépouillés de tout ce qu’ils avaient de valeur, éparpillant autour d’eux les papiers qui auraient pu servir à les identifier.

D’autres, transportés du champ de bataille aux ambulances puis aux hôpitaux où ils sont morts de leurs blessures, ont eu leurs papiers égarés. Incapable de dire qui ils étaient, ils sont restés des inconnus.

Et puis, il y a ceux, encore plus nombreux, qui n’ont été identifiés que par leurs nom et prénoms, parfois leur régiment, mais pas de filiation, pas de lieu d’origine où envoyer la transcription de leur décès. L’administration de l’armée, à cette époque (elle s’est rattrapée à la guerre suivante), était incapable d’assurer correctement le suivi des actes de décès.

Même si je gage, du moins dans la garde mobile, que les vivants de retour ont informé les familles des morts sur le champ de bataille, ils n’ont pas su où étaient enterrés leurs fils.

Qu’ils aient conservé un nom ou qu’ils soient devenus des inconnus, tous ces hommes tombés sur le champ de bataille ou morts de leurs blessures, dans les ambulances et les hôpitaux, sont mes X du jour, français et allemands.

En ce qui concerne les inconnus complets, j’en ai trouvé soixante-sept morts dans le Loir-et-Cher dans neuf communes différentes (mais je n’ai pas fini de dépouiller le département) :

A Avaray, un garde mobile est mort à l’ambulance, le 26 décembre 1870, paraissant avoir vingt-trois ans.

A Azé, voir l’article d’hier, treize inconnus sont inhumés au cimetière : trois inconnus trouvés sur le champ de bataille, après les combats du 31 décembre 1870, un jeune garde mobile retrouvé mort dans une grange, au bord de la route, le 6 janvier 1871, faisant parti d’un convoi de prisonniers dirigés sur Vendôme, 8 trouvés sur le champ de bataille après les combats du 6 janvier, un soldat du 32e de ligne, matricule 4829, trouvé sur le champ de bataille après les mêmes combats, portant à dix les inconnus du 6 janvier.

A Blois, huit inconnus sont inhumés au cimetière de Blois. Un soldat au 16e de ligne, matricule 4072, mort à l’ambulance de la gare, le 5 décembre 1870. Un soldat au 94e de ligne, mort à l’hospice, et inconnu complet, mort à l’ambulance du collège, le 10 décembre. Deux inconnus complets, un soldat au 78e de ligne, morts à l’ambulance du château le 12 décembre 1870 et un Etienne Hippolyte inconnu, natif des Vosges, soldat au 65e de ligne, 33e de marche, 1er bataillon, 1ère compagnie, décédé à l’ambulance du château, le 15 décembre 1870. Et enfin, un inconnu complet décédé à l’ambulance du collège, le 29 décembre 1870.

A Droué, dix-neuf inconnus tombés au combat du 17 décembre, sont inhumés au cimetière, dont sept prussiens, morts dans le bourg. Parmi eux se trouvait un lieutenant. Morts également dans le bourg, les français sont sept mobiles, un marin, deux militaires au 19e de ligne, un militaire au 94e de ligne, un brigadier de lancier.

A Mulsans, un jeune homme, se disant malade, est entré à la ferme de la Forderie, portant un uniforme de garde mobile, demandant à passer la nuit sur place. Il ne pouvait plus rester dans la voiture d’ambulance qui le conduisait à Blois. Le lendemain, il a été trouvé mort dans son lit. Il n’était pas malade, mais avait été blessé par une balle restée dans son corps. Les seuls renseignements recueillis par ses hôtes étaient son âge, vingt-quatre ans, et son origine, Authis, dans l’Orne.

A Saint-Laurent-des-Bois, quatre inconnus sont morts à l’ambulance le 7 novembre 1870 :  un soldat du 20e régiment de chasseurs à pieds portant sur sa chemise et son caleçon le matricule 2590, et sur ses effets d’habillement, le matricule 2405, un soldat au 20e bataillon de chasseurs à pied matricule 2207, un soldat portant des effets et pantalons du 17e bataillon de chasseurs à pied et les boutons de sa tunique indiquant le 5e bataillon et un soldat prussien. Un garde mobile de la Vendée, 21e corps, décèdera à l’ambulance le 12 décembre.

A Seris, quatre inconnus sont morts à l’ambulance le 10 décembre 1870, dans une maison du hameau de Lussay : un matricule 631 soldat au 6e de ligne, un lieutenant au 86e de ligne aux initiales VP, et un soldat de l’armée prussienne, un lieutenant d’artillerie présumé appartenir au 17e corps d’armée, tiré du champ de bataille à deux heures du soir.

A Villeporcher, onze inconnus ont été trouvés morts du 6 au 18 janvier. Le 6, entre midi et cinq heures du soir, huit soldats français ont été trouvés morts sur le territoire de la commune. Sept n’ont pu être identifiés, n’ayant aucune marque et ayant été dépouillés de leurs effets militaires portant des numéros. Un capitaine français avait recueilli quatre livrets militaires qu’il devait donner à la mairie. Malheureusement, la réapparition soudaine de l’ennemi l’en a empêché. Les corps ont été inhumés au cimetière. Le 8, entre midi et quatre heures du soir, trois soldats français ont été trouvés morts sur la commune, et, comme la veille, n’avaient aucun effet permettant de les identifier. A la ferme de Viar, un soldat français n’ayant ni papier ni pièce pour l’identifier, portant un mouchoir marqué BJ et une paire de guêtres portant le numéro 9903, paraissant âgé de plus de trente ans, est mort chez le sieur Colas.

A Vendôme, à l’ambulance du Lycée, un homme, n’étant ni militaire, ni employé mais plutôt charretier, est mort le 9 décembre. Les charretiers ont été réquisitionné à plusieurs reprises, par l’armée français ou prussienne et se trouvaient près des champs de bataille. Certains y ont perdu la vie, alors je le compte, même si ce n’est pas un militaire. A l’ambulance du lycée, un garde mobile de vingt-deux ans, un sergent de garde mobile d’environ vingt-trois ans, sont morts le 12 décembre. A l’ambulance du quartier de Cavalerie, un soldat au 1er régiment d’infanterie de marine matricule 16933 et un soldat au 30e régiment d’infanterie de ligne, matricule 6819, sont morts le 14 décembre, entré à l’ambulance la veille.

Et je n’ai pas encore fait toutes les communes du Loir-et-Cher. Et là, je ne parle que des inconnus complets.

Parler des autres, ceux qui n’ont qu’un prénom et un nom, serait trop long, alors en voici quelques uns :

  • Talmier de Toulouse, soldat de 1ère classe au 37e régiment de marche, 3e compagnie, 2e bataillon, matricule 1282, trouvé près du chemin de Binas à Autainville le 26 octobre, sur le terroir de la Haute Borne.
  • Mougenot, soldat au 53e régiment de ligne 2e bataillon 2e compagnie, mort à l’ambulance provisoire de Salbris le 29 octobre.
  • Borde, mort à l’ambulance d’Ouzouer le Marché le 9 novembre.
  • Faure, mort à l’ambulance boulevard de la gare, à Mer, le 11 novembre.
  • Brossard, mobile, mort le 21 novembre à l’ambulance boulevard de la gare à Mer.
  • Decoumincq, soldat au 16e bataillon de chasseurs à pied matricule 742, armée de la Loire, mort le 7 novembre 1870 à l’ambulance de Saint-Laurent-des-Bois.
  • Bonnefoy de Besançon, soldat au 16e de ligne matricule 2284, mort à l’ambulance du château de Blois, le 4 décembre.
  • Levra, soldat au 4e de ligne, 1er bataillon 3e compagnie, matricule 6636, mort le 6 décembre à l’ambulance du château de Blois.
  • Bagliano, sergent au 16e de ligne, mort à l’ambulance du château de Blois le 8 décembre.
  • Dumart, soldat au 17e corps d’armée, mort le 9 décembre au presbytère de Seris où il venait d’être déposé.

Pour l’instant, j’en ai trouvé 359 dont 82 prussiens. Si certains pourraient être identifiés en ayant les listes et matricules des différents régiments, d’autres n’ont parfois qu’un nom et l’identification, par l’uniforme, d’être français ou prussien.

Et je n’ai pas fini le dépouillement du Loir-et-Cher. Et on pourrait multiplier cela par le nombre de départements sur lesquels des combats ont eu lieu.

Cela donnerait un chiffre vertigineux d’hommes morts au combat dont les familles n’ont jamais été informées officiellement de leur décès et qui n’ont pas eu de transcription de décès dans leur commune.

Après, il y aura les plaques métalliques avec le nom, la naissance et le matricule gravé. Il y aura une administration militaire plus pointue. Après, il y aura une autre guerre encore plus meurtrière.

Après, il y aura la tombe du soldat inconnu, pour ne jamais les oublier.

Soldat inconnu

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 27 novembre 2020