• Description

C’est à Montlivault, Loir-et-Cher, entre la Loire et le domaine de Chambord, que Jean Charles Nicolas Daridan exerce son métier d’instituteur. Il est natif de Landes-le-Gaulois et a vingt-quatre ans lorsqu’il épouse une fille de la commune, Marie Anne Chenu, vingt-trois ans.

Ils vont avoir six enfants, dont seulement trois atteindront l’âge adulte, trois garçons, Henri Joseph, né en 1841, Adolphe Alphonse, né en 1845 et Ulysse, né en 1851.

Les enfants atteindront l’âge adulte, mais les parents ne le verront pas. Jean Charles décède le 21 octobre 1853, à l’âge de trente-neuf ans. Sa femme le suit six ans plus tard, en 1859.

L’aîné des garçons a dix-huit ans, le plus jeune, huit ans. Ils se retrouvent orphelins, sous la protection du grand-père paternel, Jean Daridan, qui vit à la Chapelle-Vendômoise, et des grands-parents maternels, Louis François Chenu et Anne Bimbenet, qui vivent à Montlivault.

Mais le sort est cruel pour les orphelins. En 1860, ils perdent leur grand-père paternel et leur grand-mère maternelle. Six ans plus tard, le grand-père maternel décède à son tour. Henri Joseph a vingt-cinq ans, Adolphe Alphonse, vingt-et-un ans, et Ulysse, quinze ans. Les archives étant fermées au public, je n’ai pas pu vérifier qui étaient leurs tuteur et subrogé-tuteur, mais le recensement de 1861 indique qu’Ulysse vit avec son grand-père, Louis Chenu, et il est déclaré son pupille.

Henri Joseph devient marchand de vin à Paris où il épouse Jeanne Salesse, le 13 mars 1869. Elle est native du Cantal. Adolphe Alphonse est son témoin. Il est fabricant de fleurs.

Le premier enfant d’Henri Joseph naît le 11 avril 1870, à Paris. C’est un garçon prénommé Henry Ulysse. Son oncle Ulysse est témoin à sa déclaration de naissance. Lui aussi vit à Paris, où il est employé.

Les trois frères ont quitté Montlivault pour Paris. Et la guerre éclate.

Henri Joseph est marié et père de famille, pas ses deux frères. J’ignore qu’elle a été la guerre d’Ulysse. Il ne figure pas sur les listes de la garde mobile ni de l’armée active, mais les recherches pour les articles précédents ont montré que tous les gardes mobiles ne sont pas dans les registres matricules.

Adolphe Alphonse est incorporé aux gardes mobiles du Loir-et-Cher, 75e régiment, au 1er bataillon 1ère compagnie, le 17 août 1870, sous les ordres du capitaine Alcide Malzy. Il a vingt-cinq ans.

Dans les derniers jours de septembre, les mobiles du Loir-et-Cher sont dans la forêt de Marchenoir. Ils doivent occuper la lisière des bois et couvrir les troupes réunies à Blois pour former le 16e corps. Le bataillon d’Adolphe s’étale de Beaugency à Marchenoir. Ils vont y rester jusqu’à la fin du mois d’octobre. Les habitants sont au petit soin pour eux, même si la vie en cantonnement est dure. Pourtant, ils logent encore chez l’habitant.

Les combats, pour l’instant, s’entendent au loin. Après le désastre d’Artenay et la prise d’Orléans, les troupes prussiennes marchent sur Beaugency, où se trouvent trois compagnies dont celle d’Adolphe. Les hommes veulent se battre, mais le maire souhaite éviter la destruction de sa ville et convainc le commandant du détachement de se retirer. Ils partent par la rive gauche de la Loire. Une arche du pont est détruite et ils doivent traverser au moyen de deux bateaux établis en va-et-vient, de nuit.

Arrivés à Saint-Dyé, ils repartent à Marchenoir, en passant par Muides et Mer. Arrivés là, ils retrouvent la 8e compagnie repliés d'Ouzouer-le-Marché. Cette marche a été épuisante et démoralisante. Tout ça pour fuir l’ennemi qu’ils veulent combattre, pour ne pas nuire aux villes. Pour ajouter au désarroi des mobiles, durant leur marche, ils ont croisé des soldats de la légion étrangère, échappés du massacre du faubourg des Aydes, à Orléans. Leurs allures, leurs témoignages, horrifient ces jeunes gens.

Mais pour l’instant, Adolphe ne voit pas beaucoup d’ennemis. Les mobiles se livrent, parfois, à quelques escarmouches avec les uhlans qui les surveillent.

Le 18 octobre, les lueurs de l’incendie de Châteaudun parviennent jusqu’à eux. Les combats ne sont pas encore là, contrairement à la petite vérole qui décime les rangs des mobiles.

Le 6 novembre, c’est la marche en avant. Plus question de loger chez l’habitant. Ce sera la toile de tente, en plein froid glacial. Le canon tonne vers Saint-Laurent-des-Bois, de l’autre côté de la forêt où est cantonnée la compagnie d’Alphonse. Elle se retrouve face à une colonne de plusieurs milliers de Bavarois. Très vite, les renforts arrivent, chasseurs, régiment de marche et quatre autres compagnies du 1er bataillon de mobiles du Loir-et-Cher. C’est le premier combat pour Alphonse, aucun mobile n’a été blessé ou tué. L’ennemi doit battre en retraite et, dès le lendemain, les mobiles sont dirigés sur Ouzouer-le-Marché. Ils doivent, pour cela, traverser le champ de bataille, au milieu des cadavres restés sur place, humains et chevaux. Ils traversent Chantôme, incendié par les prussiens, dont les ruines fument encore. La nuit tombe avant qu’ils aient atteint Ouzouer et ils doivent s’arrêter. Les chemins sont mauvais, l’intendance encore pire. Les vivres sont loin.

Cette fois, pas de campement sous la tente. Les hommes se couchent sur la terre gelée, sans défaire leurs sacs.

Le 9 novembre, les mobiles font mouvement dès huit heures du matin. Vers dix heures, le bruit sourd du canon résonne. L’artillerie française répond à l’artillerie prussienne. Dès que les hommes dépassent les reliefs du terrain, une pluie de balle s’abat sur eux. C’est la bataille de Coulmier.

Alors qu’il descend dans la plaine, à découvert, plusieurs obus prussiens tombent sur le premier bataillon. Poursuivis par les obus, les hommes gagnent une ferme pour s’y mettre à l’abri. L’ennemi bat encore en retraite. Cette fois, le 16e corps subi des pertes : cent quarante six morts, dont six officiers et neuf cent dix huit blessés, dont trente-sept officiers, et deux cent vingt disparus.

Le 15 novembre, ils sont aux portes d’Orléans, à Saint-Peravy, et doivent encore camper, dans la boue et le froid. Pendant leur séjour, l’instruction est complétée. Il faut former une armée homogène. Les hommes apprennent la discipline, le maniement des armes, l’artillerie, le matériel. Enfin, ils mangent : 750 g de pain, 350 g de viande fraiche, 16 grammes de café, 21 grammes de sucre et une solde de 25 centimes. Mais de nouveaux compagnons arrivent : rhumes, pneumonies, dysenterie, petite vérole et typhus.

Le 1er décembre, les mobiles du Loir-et-Cher sont en ordre de bataille du côté de la route de Terminiers, en avant de Patay. La neige recouvre le sol. Elle est peu épaisse mais gelée. Le temps est clair. Les troupes avancent, au gré de l’artillerie et de la retraite des prussiens. Ils traversent Terminiers, évacuée par l’ennemi et arrivent à Faverolles où sont retranchés les Bavarois. Un escadron de dragons français est décimé devant eux. Les obus tombent sur les mobiles. Plusieurs sont tués net, ou grièvement blessés. Les hommes marchent sous une grêle de balle. La fusillade est assourdissante. Mais ils réussissent à enlever Faverolles, à la baïonnette.

La victoire sera courte. Le lendemain, 2 décembre, a lieu la bataille de Loigny.

Le bataillon d’Alphonse se porte sur la droite du champ de bataille. Il est sous le feu des batteries prussiennes installées au château de Goury. Alors qu’ils s’apprêtent à donner l’assaut d’une colline, les mobiles sont attaqués, par la droite par l’ennemi qui les crible de balles. Le capitaine Malzy fait coucher ses hommes à plat ventre pour échapper aux tirs. Ils doivent reculer jusqu’à une ferme, à quelques centaines de mètres de distance. La compagnie d’Alphonse est à l’extrême droite. Alors qu’ils gravissent la colline, le commandant tombe de cheval, frappé par des éclats d’obus. Le capitaine Malzy lui porte secours pendant que ses hommes continuent leur avancée. Ces derniers se retrouvent seuls, sans officier pour leur dire quoi faire. C’est le désordre complet. Les prussiens sont partout. Les blessés appellent à l’aide. Le capitaine Malzy est de retour. Il tente de rassembler ses troupes. Avec ses hommes, il se réfugie derrière les murs d’une ferme qui est immédiatement prise pour cible par les obus prussiens. Les bâtiments sont en feu. Il faut vite en évacuer les blessés. Les hommes tombent, les officiers aussi.

Malgré leur courage et leur résistance, le premier bataillon doit battre en retraite sur Villepion. C’est plus une fuite qu’une retraite d’ailleurs. C’est une véritable débâcle. Le capitaine Malzy est toujours là. Il compte les hommes qui lui reste, seulement sept cents mobiles.

Il manque des officiers, des sous-officiers. Alphonse est nommé caporal ce jour-là.

Le lendemain, le capitaine Malzy prend le commandement du 1er bataillon de mobiles. C’est la déroute, le 16e corps est vaincu et désorganisé. Il faut reculer. Dès dix heures, les mobiles repartent, pour une marche de quatre à cinq heures, en pleins champs, sur Orléans.

Le bataillon d’Alphonse est de retour à Patay où il reprend ses cantonnements. L’ambiance n’est plus la même, et beaucoup de mobiles manquent à l’appel.

Le 4, c’est la panique, l’ennemi arrive en masse et aucun secours n’est possible. Très vite, les mobiles sont cernés. Ils ripostent avec leurs fusils contre les obus qui détruisent les murs et incendient les granges couvertes de paille. Le combat est rude mais la mobile tient bon, malgré ses pertes. Les prussiens reculent. Patay est en ruine. Les hommes reçoivent l’ordre de retourner à Saint-Peravy le lendemain.

A leur arrivée, tout est fermé. Le capitaine ne sait pas où il doit aller, ni par où passer. Les prussiens sont partout. Il décide de suivre la direction de Beaugency. Après une heure de marche, les mobiles aperçoivent l’armée française en retraite, du côté de Bucy-Saint-Liphard. Jusqu’au Mans, ils vont rester en arrière de la retraite, au contact de l’ennemi.

Le 6 décembre, après une station à Lorges, ils partent vers Beaugency et s’arrêtent à Villorceau. Ils apprennent la dissolution de l’armée de la Loire du général d’Aurelle de Paladines. La deuxième armée de la Loire est créée.

Le 7 décembre à trois heures du soir, le régiment part en direction de Messas où le canon tonne depuis midi, mais il ne prend pas part au combat d’artillerie. Simple spectateur, après une marche forcée en travers champs et vignes. Le soir, il est de retour à Villorceau.

Le 8 décembre, le jour qui se lève est gris, triste. Le sol est dur et glissant. La neige tombe. Le 75e est à bout de forces. Le nombre des hommes et des officiers diminue chaque jour. Les hommes n’ont plus que des haillons sur le dos, ils sont peu nourris, ont presque les pieds nus. Mais, le sac au dos, ils attendent les ordres, qui arrivent enfin. Ils doivent partir en avant, entre le Mée et Vernon, pour garder de nouveau l’artillerie qui tonne. Alphonse est là, caporal fraichement nommé. Les obus tombent blessent et tuent les mobiles sur leur passage, puis c’est la charge à la baïonnette. Alphonse est atteint à la jambe droite.

75emobile

Transporté à l’ambulance, il est évacué sur l’hôpital Saint André de Bordeaux. La guerre est finie pour lui.

Ces blessures soignées, il rentre au pays et arrive à Montlivault le 13 mars, en congé de convalescence.

Il ne peut travailler, ses frères ne peuvent l’aider. Adolphe Alphonse est recueilli par ses oncles maternels, à Montlivault et est sans ressource. Le 16 mars 1871, il demande une aide au comité de secours pour les blessés, appuyé par le maire de Montlivault.

Adolphe Alphonse retournera vivre à Paris.

Le 12 octobre 1876, il est employé de commerce lorsqu’il épouse, à Jouarre, en Seine-et-Marne, Marie Léonie Jouard. Son frère, Henri Joseph, charron à Paris, est son témoin.

J’ignore ce qu’il est advenu d’Ulysse. Pour l’instant, je n’ai pas retrouvé sa trace.

Adolphe aura écrit, avec les autres mobiles, les pages de gloire du 75e mobile pendant la guerre de 1870. Il mourra à la veille de la première guerre mondiale, le 31 juillet 1914, à Paris.

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 4 novembre 2020