• Description

Siège de Paris : les bombardements sont toujours incessants, sur la ville et particulièrement sur le quartier Saint-Sulpice et Grenelle. Au fort de Montrouge, trois marins sont tués et trois blessés.

Armée de la Loire : le général de Chanzy a ordonné la retraite. Les 16e et 17e corps traversent le Mans, sans que les allemands s’en aperçoivent. Il ne reste plus que le 21e corps à évacuer.

Des violents combats d’arrière-gardes ont lieu, à Saint-Corneille et Courceboeuf, au nord-est du Mans, entre la 2e division du 21e corps et la 22e division allemande, à la Croix et Chanteloup, au nord du Mans, entre la 3e division du 21e corps et la 17e allemande, au Tertre, aux Epinettes, à Pontlieu et dans les rues du Mans, entre les 16e et 17e corps mélangés de l’amiral Jauréguiberry et le gros des IIIe et Xe corps allemands.

12janvier

Il serait trop long de raconter tous ces combats, alors je vais juste m’attacher aux pas de mes mobiles, et surtout, aux pas de Denis Erard, du 33e régiment des mobiles de la Sarthe, qui doit abandonner sa ville et sa famille aux mains des allemands.

La nuit du 11 au 12 est glaciale. Les hommes sont transis, souffrent de la faim, depuis trois jours qu’aucune distribution n’a été faite en nourriture. Les sous-officiers ont reçu l’ordre de ne pas laisser dormir les hommes, en cas d’alerte, et aussi, pour éviter la congélation des extrémités. Mais les souliers qui baignent depuis trois jours dans la neige prennent l’eau comme des éponges et de nombreux cas de pieds gelés sont signalés dans la nuit. L’ennemi est trop proche pour que des feux soient allumés. Accroupis à terre, serrés les uns contre les autres, la plupart des mobiles s’endorment malgré les ordres.

A onze heures du soir, le 11, l’ordre de former une colonne d’attaque arrive. Bientôt, le bataillon se retrouve en ligne, dans le chemin aux bœufs qu’ils ont emprunté quelques heures plus tôt. Les officiers leur font mettre baïonnette au canon. La quatrième compagnie, celle de Denis Erard, prend la tête de la colonne. Les compagnies ne sont plus que de quatre-vingts hommes chacune, les sections d’une vingtaine d’homme. L’ordre est donné de reprendre à l’ennemi le Tertre Rouge, à la baïonnette. Défense de tirer le moindre coup de fusil, pour ne pas tirer sur les autres soldats français à la manœuvre dans le même secteur.

Malheureusement, comme souvent dans cette guerre, au lieu d’envoyer les hommes au combat, on les fait attendre. Pendant deux heures ils vont piétiner dans la neige. Déjà les hommes tombent, épuisés, affamés, gelés, que rien n’arrive à les relever, ni les menaces ni les coups, et la neige commence à les recouvrir. Puis, encore une fois, l’attaque est annulée et ils doivent retourner à leur position première.

Au matin du 12 janvier, les mobiles voient déboucher par le chemin aux bœufs sur la route de Parigné, des troupes d’infanterie et des mobiles qui refluent en désordre sur le Mans. Soudain, un obus passe au-dessus d’eux en direction de Pontlieu, tiré, par les allemands, depuis le Tertre-Rouge. D’autres vont suivre. Les projectiles rasent les grands sapins qui abritent les mobiles du 33e, explosent au-dessus de leurs têtes. Ils assistent impuissant à la débandade des troupes françaises que l’artillerie allemande pilonne si facilement. Les deux pièces d’artillerie qui garde la route de Parigné sont emmenées par leurs artilleurs, au trot des chevaux, au milieu des troupes qui battent retraite.

Spectateurs impuissants, ils deviennent la cible des tirailleurs allemands. Plusieurs hommes du bataillon tombent. Le sergent-major Lepelletier, du 1er bataillon est emmené sur un brancard de fortune, mortellement touché. Pourtant, l’ennemi reste invisible. Leur capitaine les place derrière le talus du chemin, à l’abri et prêt à riposter. C’est le tour de la compagnie de marcher en tirailleurs.

Il est neuf heures. Le colonel en personne vient donner ses instructions. Cette fois, c’est la marche en avant. Les mobiles escaladent le talus et se répandent dans l’espace à découvert, au pas de course, puis, les distances mises entre les tirailleurs, ils avancent plus calmement.

La marche est difficile, le terrain est semé de fondrières, de trous recouverts par la neige, formant autant de pièges où les hommes s’enfoncent jusqu’aux genoux. Au bout d’une centaine de pas, un immense espace tout blanc de neige s’offre à eux, piqué çà et là d’arbres isolés.

Devant des champs plantés de châtaigniers ou des vergers de pommiers, au-delà, les toits des bâtiments et des fermes. A gauche, un rideau de sapins longe la route de Parigné. A droite, tout au loin, un épais rideau de sapinière forme un demi-cercle.

Les mobiles sont totalement à découvert, bien visibles sur le tapis blanc de neige et les balles commencent à siffler, venant du rideau de sapinière. Les hommes continuent à avancer, trouve un abri dans une sorte de fossé. Trois à quatre cents pas les séparent des allemands qui se dissimulent derrière un talus. Et les tirs commencent.

La section de mobiles de Denis Erard, envoyée en avant, se retrouve face à une vingtaine de lignard et leur lieutenant, placés en tirailleurs, heureux de se renfort inespéré. Quelques échanges de tir ont lieu, pendant une demi-heure, puis plus rien. C’est un piège. Croyant l’ennemi reparti, les mobiles s’apprêtent à battre en retraite avec le reste de l’armée, quand les allemands ouvrent le feu sur eux. Les mobiles ripostent tout en repartant. Les lignards restent. Que sont-ils devenu ? Denis Erard l’ignore, se reprochant encore, des années plus tard, de les avoir abandonnés.

La section de Denis Erard est de retour à leur position précédente mais il n’y a plus personne. Tous les autres sont parti sur le Mans. Ils prennent alors, à leur tour, la route de Parigné, ne rencontrant plus que des fuyards isolés.

Les obus tirés depuis le Tertre-Rouge leur passe au-dessus de la tête, tombant à droite ou à gauche de la route. Le capitaine les tient bien et les hommes marchent en rang. Au fur et à mesure qu’ils approchent du faubourg, la route est de plus en plus encombrée. Arrivés à la place de la Lune, au croisement des routes de Parigné, de Tours, d’Angers et d’Arnage, c’est une véritable cohue qui occupe les routes. Il devient pratiquement impossible d’avancer.

Tout le monde reflue vers le pont de l’Huisne. Une petite partie du régiment a réussi à passer, les compagnies de tête. Les autres passent par un étroit passage qui mène au moulin, marchand un à un, à la queue-leu-leu, et réussissent à passer de l’autre côté et rejoignent leurs camarades.

Evitant l’avenue de Pontlieu totalement encombrée, les officiers leur font contourner l’église Saint-Martin et ils atteignent, par des rues parallèles, la place de la Mission.

Au milieu de la cohue, de cette mêlée humaine disparate, une compagnie de gendarmerie est là, rangée dans un ordre parfait, l’arme au pied. Ils laissent passer le torrent de fuyards. Ce sont eux qui vont devoir défendre la ville, au moins le temps que le reste de l’armée soit partie battre en retraite plus loin.

Les habitants assistent, incrédules, à ce spectacle. Ils ignorent encore que l’armée les abandonne. Une fusillade lointaine se fait entendre, le canon également. Des obus tombent en direction de la gare, sur leur gauche. Les gendarmes empêchent les hommes de sortir de la route de la retraite. Mais Denis Erard réussit quand même à braver la consigne. Il refuse de quitter la ville sans avoir revu sa sœur et son oncle. Il arrive chez lui, il s’assied, il est tellement épuisé qu’il s’endort sur sa chaise, sans même manger. Une heure plus tard, il faut le réveiller. Après les adieux aux siens, sa sœur lui glisse le peu d’argent qu’elle possède pour garnir sa bourse. Il l’embrasse une dernière fois, et c’est le départ. Les reverra-t-il jamais ?

Il est midi. Il retrouve la cohue qui prend la route de la retraite, la route de Laval. Passant par ces rues qu’il connait si bien, il arrive à la place de la Croix-d’or où il retrouve un groupe de camarades, avec des officiers. Arrivé à hauteur du passage du chemin de fer, ils s’arrêtent pendant une heure, regardant passer de nombreux trains fuyant vers la Bretagne. L’arrêt permet à plusieurs mobiles égarés de les rejoindre.

Ils doivent aller sur les hauteurs de Saint-Georges pour reprendre le combat ; peut-être. Ils entendent, par de là le coteau sur lequel s’étale la vieille ville, le bruit d’une fusillade entre les allemands et les derniers défenseurs, les gendarmes.

 Un dernier flot de soldats débandés : lignards, chasseurs, mobiles, artilleurs, arrive dans leur direction, les dépasse.

Ils reprennent la route de Laval. La nuit est presque là lorsqu’ils atteignent Trangé. Les mobiles du 33e se regroupent. Ils forment à peu près deux compagnies. Ils vont cantonner dans les écuries et les remises du château de la Groirie. Le repos sera de courte durée.

Le 75e mobiles du Loir-et-Cher et Maine-et-Loire connaît une journée similaire à celle du 33e. Arrivés au Mans, la vision du régiment de gendarmerie à pied leur fait le même effet qu’à Denis Erard. Ce sont ces hommes qui doivent protéger leur retraite. Ils gagnent eux-aussi, la route de Laval.

Pendant que l’armée bat en retraite, le régiment de gendarmes à pied défend le pont de Pontlieu, retardant au prix d’un lourd sacrifice, l’avancée allemande. Deux officiers et quatre-vingt-trois hommes sont tués ou blessés.

Et l’ennemi entre au Mans où il se livre, comme à son habitude, au pillage.

Plusieurs ambulances, malgré le drapeau de Genève, sont la cible de leurs exactions et des blessés sont tués dans leur lit, pendant que le personnel des ambulances, y compris les religieuses, sont volés et molestés.

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 12 janvier 2021