Le 3 septembre, l’armée vaincue à Sedan est envoyée au camp de Glaires qui sera nommé le camp de la misère.
A Paris, l’annonce parvient au gouvernement, du désastre de Sedan et de la capture de l’Empereur.
Les combats continuent encore à Strasbourg, devant Metz, à Bitche, et autres places fortes.
Un autre combat commence le 3 septembre à onze heures du matin, pour le général de Brigade Moreno. Ce combat n’a pas lieu sur le champ de bataille, mais à l’hôpital militaire de Strasbourg.
Le général a été blessé le 25 août, à la citadelle. Il a reçu deux petits éclats d’obus qui ont pénétré, l’un à la partie externe du bras, sous l’insertion deltoïdienne, l’autre à la partie externe du creux poplité du même côté, vers l’insertion du jumeau externe.
Les deux plaies, très petites, ont provoqué très peu d’épanchement de sang, raison pour laquelle elles ont semblé sans gravité. Les plaies cicatrisent rapidement, surtout celle de la jambe.
Celle du bras prend plus de temps à guérir, car elle garde en elle un petit fragment d’obus et une rondelle de drap et de flanelle provenant de l’uniforme, découpée par l’impact.
Le 1er septembre, apparaît une tumeur au niveau du creux poplité. Grosse comme un œuf de poule, les médecins l’identifient comme un anévrisme traumatique.
La tumeur grossit rapidement, et, le 3 septembre, à onze heures du matin, les médecins décident de faire une compression digitale.
Les soignants vont se relayer pendant vingt heures consécutives pour comprimer la tumeur. Après une pause de quatre heures, la compression reprend, le 4 septembre, à onze heures, jusqu’à cinq heures du soir. La tumeur diminue peu à peu, mais continue à être animée de pulsations.
Le 6 septembre, la compression est faite de midi à deux heures. Les pulsations ont cessé. Il ne reste plus de la tumeur, qu’un noyau dur de la taille d’une noisette. Les médecins décident alors de cesser les compressions.
Le 29 septembre, le général Moreno quitte l’hôpital avec, comme seule séquelle, une peu de gêne dans les mouvements du membre.
Il aura fallu plus de trente heures pour sauver la jambe du général. C’est une remarquable prouesse médicale pour l’époque.
Cette guerre, comme toutes les guerres, va faire évoluer la médecine : la médecine de guerre, la médecine civile.
Les spécialistes de l’art vont avoir suffisamment de « matériel » sous la main pour analyser les traitements mis en œuvre : amputation ou pas, nombre de décès après opération, asepsie, aération/ventilation des chambres, hémorragies, blessures de la face, etc. Ils vont même tester de nouvelles méthodes nées de l'impossibilité d'avoir le matériel habituel sous la main.
Chaque ambulance tient scrupuleusement, sauf sous la mitraille bien sûr, les registres des blessés et des soins qui leur ont été donnés.
Les statistiques de survie après les opérations constituent un outil de travail extraordinaire pour faire avancer la médecine.
Sur chaque champ de bataille, les médecins prussiens viennent assister aux opérations des chirurgiens français, comme à l’amphithéâtre de l’école de médecine. Le champ de bataille est un gigantesque amphithéâtre médical.
Les médecins français observent les méthodes des chirurgiens anglais et américains.
Les blessures de guerre sont produites, d’une part, par les balles de fusil, les balles de boites lancées par des pièces d’artillerie, des obus et leurs éclats, des bombes et leurs éclats, des boulets et par divers corps violemment lancés par le choc de ces projectiles ; et d’autre part, les blessures par arme blanches, sabre, lance, baïonnette. Et il y a aussi les armes d’urgence comme les revolvers, haches, pierres, etc.
L’évolution des guerres et des nouvelles armes de destruction va également faire évoluer les blessures. Durant la guerre de 1870, il y a
eu moins de blessures par arme blanche et par balles que dans les autres guerres, car l’artillerie a rendu le corps à corps de plus en plus rare. L’ennemi tire de loin et fait encore plus de dégâts.
La guerre de 14-18 verra se confirmer cette tendance.
Une nouveauté, dans cette guerre, sont les balles explosives. Elles existent, les médecins en ont vu les conséquences, mais leur usage n’est pas encore répandu. Les rapports des médecins n’indiquent l’utilisation des balles explosives par les prussiens, qu’à la bataille de Saint-Privat.
Le taux très important de mortalité après amputation de la cuisse, et les problèmes posés par les prothèses sensées remplacer le membre enlevé vont pousser les médecins à renoncer à cette opération. Évidemment, lorsque la jambe a été emportée par un boulet de canon ou un éclat d’obus, ou lorsque la gangrène s’installe, l’amputation est nécessaire.
Combien de soldats ont été amputés sur le champ de bataille et en sont morts ? Beaucoup trop. Combien auraient survécu sans l’opération ? On ne le saura jamais.
Mais le constat est fait régulièrement qu’un grand nombre de blessés ayant refusé l’amputation, ou ceux trop grièvement blessés pour y survivre, ont guéri et gardé leur membre.
La médecine va avancer. Les chirurgiens vont apprendre de leurs erreurs. Cela sert aussi à cela, la guerre.
Elevé au rang de grand officier de la légion d’honneur le 16 avril 1871, Edouard Jacques Louis Moréno né le 25 août 1812 à Zwol, en Hollande, décèdera le 17 février 1884, à l’âge de soixante-douze ans.
Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 3 septembre 2020