Le 20 août 1870, la cinquième ambulance de la Société française de secours aux blessés quitte Paris pour Reims. Elle est sous les ordres du docteur Trélat, chirurgien en chef, assisté de 4 chirurgiens, 12 aides, 24 sous-aides, 2 aumôniers, 1 pasteur, 6 comptables et 117 infirmiers. Nous sommes loin du départ de la 1ère ambulance de la société, avec ses douze sous-aides et seulement 64 infirmiers. Cette ambulance va se rattacher au 1er corps d’armée et le suivre dans ses mouvements.
Pendant ce temps, le docteur Coste, de l’ambulance du 95e de ligne, cherche une maison où installer son infirmerie. Les hommes épuisés, démoralisés, commencent à tomber malade. La faim qui leur fait manger les raisins encore verts provoque dysenterie et diarrhées.
Ce 20 août, le docteur Le Dentu, de l’ambulance n°3 de la société se trouve confronté à des difficultés qu’il n’avait pas imaginées.
Après avoir soigné, à Holley, une dizaine de blessés, il se rend, avec sa petite troupe, à Conflans-sur-Yson où un convoi d’une cinquantaine de blessés arrive de Saint-Privat. Examen, opérations et pansements occupent les membres de l’ambulance pendant trois heures.
Laissant leurs patients entre les mains de deux médecins civils, ils rejoignent Doncourt, village occupé par les prussiens.
Refusant de leur donner un laisser-passer pour Metz, les prussiens les envoient à Gravelotte où se trouvent beaucoup de blessés français.
L’ambulance y arrive à huit heures du soir. La commune est occupée par le corps d’armée du général Steinmetz. Son accueil n’est rien moins que glacial. Il ordonne à tout le personnel de retirer son brassard avec le timbre français, sous peine d’être arrêté, exige la liste nominative de tous les membres de l’ambulance.
Le docteur Le Dentu doit passer la nuit sous bonne garde, avec une vingtaine de soldats prussiens, pendant que le reste du personnel attend, jusqu’au matin, sur la place du village. Le lendemain, après des démarches épuisantes qui durent une partie de la journée, ils obtiennent, enfin, l’autorisation de soigner les blessés français.
Ce n’est que le début de leurs difficultés : les tentes sont montées dans un champ clos, attenant au village. Ils sont surveillés en permanence par les officiers prussiens.
Les deux tentes montées, il reste à trouver les blessés. Cela n’est pas chose difficile. Ils sont partout dans le bourg. Il y en a dans l’église, dans les écoles, à la mairie. Ils sont là et attendent, stoïques. Ils attendent qu’on vienne les soigner. Ils attendent qu’on vienne les évacuer. Ils attendent, et souvent, faute de soins, ils meurent, là, auprès de leurs compagnons d’infortune.
Le Dentu installe les plus malades dans les tentes, pour que l’air y soit meilleur. Il espère ainsi augmenter leurs chances de guérison. Ces tentes font vingt mètres de long et six de large.
Très vite, l’équipe de l’ambulance prend en charge 150 blessés. Ils sont tous pansés dans la journée.
Les difficultés matérielles commencent à s’accumuler. Le matériel de l’ambulance n’est pas performant. Les appareils de fracture disponible sont de mauvaises gouttières dont l’utilisation est impossible. S’il y a suffisamment de linge, pour le moment, la pharmacie présente des lacunes et parfois, de drôles de produits comme trente grands pots de pommade de concombre. A quoi cela doit-il bien leur servir ? Par contre, il n’y a pas de plâtre ni de dextrine et rien pour les fractures de jambe ou de cuisse.
Dans une maison du village, le chirurgien commence par une désarticulation d’épaule (amputation) et l’amputation d’une jambe. Et les soins se poursuivent.
Toute la journée, les convois de prisonniers venant de Saint-Privat passent par Gravelotte. Certains, trop blessés pour continuer, sont amenés jusqu’aux tentes par les soldats prussiens. Elles dépassent vite leur capacité.
L’eau manque. Le point d’eau le plus proche auquel ils peuvent accéder, se trouve être une rivière à trois kilomètres. Les rations alimentaires, limitées au riz, au biscuit et au liebig commencent à manquer et ils doivent en quémander auprès des prussiens, pour les blessés et pour eux-mêmes.
Les comptables réussissent à trouver deux maisons pour loger les membres de l’ambulance. Dans l’une d’elle, ils sont quinze, plus les propriétaires, le père et la mère Boirot. Oui, les habitants sont toujours là. Ceux qui n’ont ni les moyens ni d’endroit où aller.
Les opérations s’enchaînent, les unes après les autres, sous le regard curieux et intéressé des chirurgiens prussiens qui y assistent, comme au spectacle. La table d’opération est dans le champ, à l’air libre. Il s’agit d’un simple brancard appuyé sur des cantines.
Aux difficultés matérielles s’ajoutent les difficultés diplomatiques. Il est compliqué, pour le docteur Le Dentu, de savoir qui il doit soigner.
Il doit soigner les blessés français et prussiens qu’on lui amène aux tentes. Il doit soignent les blessés français répartis dans les maisons. Mails il ne soit pas soigner les blessés français qui sont avec les blessés prussiens, soignés par les chirurgiens prussiens. La communication passe mal.
Un abbé et un infirmier de l’ambulance repartent à Paris. C’est bien trop dur pour eux.
Les habitants qui ne sont pas parti sont pressurés par les prussiens : le pain, la viande, les légumes doivent être donnés.
Petite anecdote savoureuse. Un des comptables a réussi à acheter un porc à un villageois. Payé et tué, il faut le ramener au camp. Mais les villageois ont prétendu qu’il ne leur en restait plus !! Comment faire entrer la dépouille dans l’ambulance, au nez et à la barbe des prussiens ? En la faisant passer pour un mort, et ce sont deux infirmiers qui vont chercher l’animal chez le vendeur, le chargent sur un brancard, enveloppé de couvertures et le ramènent au campement. Un porc, c’est énorme ? Non, ils sont trois cents à se le partager.
Les orages ont imbibé le terrain d’eau, les forçant à travailler les pieds constamment dans la boue. Le vent abat une des tentes qu’ils ont un mal fou à réparer. Et ce n’est que le matériel.
Les conditions sanitaires sont telles que la diarrhée sévit même parmi les médecins. Deux sont gravement atteints. Ils en resteront malades pendant des mois. Le Docteur Burlaud y succombera le 23 octobre, alors qu’il a rejoint l’ambulance de l’armée de Loire, à Lamotte-Beuvron, âgé de trente-cinq ans seulement.
Le docteur Le Dentu devra attendre que le plus grand nombre de blessés aient été évacué, et que le général Steinmetz ait été remplacé par le général de Goeben, pour pouvoir repartir et regagner les lignes française, en passant par la Belgique.
Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 20 août 2020