Le blocus de Strasbourg débute le 12 août et le premier obus y tombe le 13. Le faubourg de Saverne est touché.
L’obus est tombé dans la
maison de M. Stein, couvreur, au 35 de la rue du Marais-Vert. Le lendemain, d’autres projectiles atteignent le Mont-de-Piété, la gare, la maison de M. Boersch, jardinier, rue Mol, sur les maisons de MM. Koehler et André Hoerter, faubourg de Saverne.
Ce sont les toitures qui sont endommagées, sans plus de dégâts, excepté l’obus qui vient frapper un candélabre à gaz, au coin de la rue Kuhn et du faubourg de Saverne.
Il explose après avoir frappé l’angle de la maison voisine où M. Ulrich, 67 ans, transporte des sacs de grains.
Atteint dans le haut de la cuisse par un fragment d’obus, il meurt, quelques jours plus tard des suites de ses blessures.
Ce n’est que le début.
Six jours plus tôt, la défaite, lors de la bataille de Frœschwiller, a jeté sur les routes des milliers de soldats. Beaucoup rejoignent Strasbourg. Le même jour, des convois de blessés arrivent, rescapés des combats de Wissembourg. Le spectacle de ces hommes en sang, couverts de boue, parfois mutilés, que l’on transporte à la vue de tous est plus édifiant que n’importe quel battement de tambour. Les boutiques et les maisons se ferment. Les soldats courent vers leurs casernes, les pont-levis sont dressés. A sept heures du soir, en cette triste journée du 6 août, la ville est fermée. Des centaines d’habitants bloqués hors des murs, appellent jusqu’à ce qu’on les laisse rentrer. La panique est à ce point.
Les rescapés de Frœschwiller arrivent le 7, seuls, par petits groupes, par bandes, avec beaucoup de blessés, sans armes, épuisés. Ce sinistre défilé va durer deux jours.
Il est vite suivi par les habitants des villages voisins qui arrivent, avec leurs meubles et provisions, pour se réfugier à Strasbourg.
Pourtant, Strasbourg, comme presque toutes les places fortes de cette zone de guerre, n’est pas prête. Il n’y a pas de garnison. Les régiments stationnés dans la ville, en temps de paix, ont été emmenés par le maréchal Mac-Mahon. Il ne reste que quelques artilleurs, quelques centaines de pontonniers, les dépôts des régiments de ligne et des bataillons de chasseurs, qui avait tenu garnison à Strasbourg, et le 87e de ligne, là par hasard, seulement de passage.
A cela s’ajoutent quelques douaniers, une soixantaine de marins et, après les premières défaites, quelques milliers d’hommes de toutes armes, rescapés de Frœschwiller, plus la garde mobile.
Les palissades ne sont pas dressées, les arbres ne sont pas coupés pour dégager les routes, et les fossés n’ont pas été noyés. Les pièces des remparts sont sans artilleurs.
Le général Uhrich commande la place et s’organise.
Le 12 août 1870, Strasbourg est isolé. Les chemins de fer et le télégraphe sont coupés. Le siège vient de commencer.
Dès le 13, les obus tombent sur la ville, sur les civiles comme sur les militaires qui ripostent.
Dès le 20, les inhumations doivent être faites au jardin botanique, à l’intérieur de Strasbourg. Les artilleurs allemands ciblent deux
monuments de la ville, la bibliothèque et la cathédrale.
Le 24, dans la nuit, l’incendie dévaste les quartiers les plus aisés de Strasbourg. Dix maisons prennent feu en même temps, atteintes par des boulets incendiaires. Le Temple neuf brûle, ainsi que la bibliothèque et son inestimable collection (200 000 volumes, 4 000 manuscrits ainsi que d’irremplaçables antiquités).
Jour après jour, les bombardements pilonnent la ville, détruisent les quartiers, incendient les bâtiments, et tuent, des civils comme des militaires. Le martyr de Strasbourg ne fait que commencer. L’hôpital civil, en feu, doit évacuer ses patients, impotents et grabataires. La gare, le gymnase, la façade de la mairie, la Banque de France, la Préfecture, le pont neuf du théâtre, brûlent ou sont criblés d’impacts d’obus. Mais les remparts sont intacts.
Le 26, une partie du faubourg national est détruit et tout le quartier des maraîchers est en feu. Le 27, c’est le palais de justice qui brûle avec toutes ses archives.
La ville n’est pas la seule cible. Les bâtiments militaires sont bombardés avec acharnement. La caserne de la Finckmatt est en feu, le faubourg de Pierre est ravagé.
Alors que, depuis le début de la guerre, les combats n’ont que peu touché les villes et les civils, Strasbourg est malheureusement la preuve que les choses vont changer.
Les hommes tombent, les femmes et les enfants aussi. Et cela continue, jour après jour.
Le 10 septembre, les obus incendiaires dévastent le théâtre où se sont réfugiés les sans-abris des sinistres précédents. Ils ont juste le temps de s’enfuir.
Au milieu de toute cette horreur, une lueur d’humanité arrive à la ville sous la forme d’une délégation Suisse. La communauté internationale s’est émue du sort des strasbourgeois.
Des envoyés helvètes sont chargés de négocier la sortie des femmes et des enfants, ainsi que toutes les personnes hors d’état de se défendre et de les envoyer en Suisse où les attend un asile sur. Pendant les pour-parler, les bombardements ne s’arrêtent pas.
Entendus jusqu’à Phalsbourg, les bombardements sont continus. Après le travail de leurs mineurs, les prussiens, à partir du 16 septembre, commencent à pilonner le mur d’enceinte de la ville.
Le 21, l’ennemi occupe la lunette 53, devant la porte de Pierre. Le lendemain, il jette un pont de fascines sur le fossé et pénètre dans l’ouvrage 52, en face de la brèche, à deux pas du corps de place. Il n’y aura un assaut en bonne et due forme, si les français ne se rendent pas.
L’après-midi du 27, le bruit court d’un possible armistice.
A cinq heures, le grondement continuel des batteries ennemies s’arrête. Le silence s’abat sur la ville, perçu jusqu’à Phalsbourg assiégée.
Les civils sortent de leurs abris, et voient un drapeau blanc flotter sur une des quatre tourelles de la cathédrale. Strasbourg se rend.
La convention relative à la capitulation est conclue à Koenigshoffen, à deux heures du matin, le 28 septembre.
Pendant les 46 jours de siège et de bombardements continus, l’artillerie prussienne a fait tirer 241 bouches à feu qui ont lancé 193 722 projectiles. Le bombardement régulier a duré 31 jours complets, ce qui fait une moyenne de 6249 projectiles lancés, chaque jour, sur la ville, soit 269 toutes les heures, entre 4 et 5 par minute.
Le bilan humain est terrible. Parmi les civils, 169 hommes et 63 femmes, et parmi les militaires, 553 hommes, ont été tuées sur le coup ou sont mortes de leurs blessures et mille cinq cents ont été mutilées ou grièvement blessés.
Sur le mois d’octobre, il y aura d’inscrit à l’état civil, deux milles morts de plus qu’une année ordinaire.
Le bilan des ambulances témoigne des souffrances de la population et des défenseurs de la capitale de l’Alsace.
Des ambulances avaient été établies au Grand et au Petit Séminaire (205 lits), au séminaire protestant (140 lits), au Lycée (95 lits), au château impérial (92 lits), au couvent Saint Joseph (91 lits), chez les Petites sœurs des pauvres (20 lits), les Franciscains (19 lits), les Sœurs réparatrices (10 lits), l’école normale (71 lits), la loge maçonnique (14 lits), le Temple israélite (12 lits), l’imprimerie Berger-Levrault (35 lits), Convalescents (80 lits), l’hôpital civil (600 lits), l’hôpital militaire (950 lits), la halle couverte et des maisons particulières.
Pendant la durée du siège, 3 000 strasbourgeois ont été blessés et 200 tués sur le coup. L’hospice civil a reçu 383 blessés et en a perdu 146. L’hôpital militaire a reçu 2 500 hommes dont 1466 malades, 754 blessés, 300 vénériens et galeux et, après la capitulation, 250 fiévreux et blessés. Sur les 754 blessés, 269 sont morts, en comptant deux blessés morts de la variole et un blessé guéri, tué dans l’hôpital par un obus, le jour de sa sortie.
Dans les derniers jours du siège, les ambulances sont saturées. Le soldat Guscherung ayant eu les deux cuisses emportées par un obus, arriva à l’hôpital militaire après avoir été refusé aux ambulances du lycée, du château et du Séminaire.
Le médecin chef de l’hôpital militaire fini par installer dix grandes tentes turques dans une des cours de l’hôpital pour y installer les vénériens et libérer des lits pour les blessés. Malgré cela, la promiscuité, à l’hôpital, augmente la pourriture d’hôpital, et la gangrène, tuant des patients qui ont survécu à leur opération.
Huit mille habitants sont à la rue, réfugiés dans les églises, les écoles, de simples trous parfois. Cinq cents maisons ont été incendiées.
Cet acharnement contre une ville peuplée de civils va monter les alsaciens contre l’occupant. Cela ne leur sera jamais pardonné.