• Description

Wissembourg-1

Dans la nuit du 3 au 4 août, le maréchal de Mac-Mahon reçoit des nouvelles alarmantes du général Douay, à Wissembourg : 6 000 Würtembergeois seraient à Kandern et Nuenbourg et un corps considérable se dirigerait vers Loerrach. L’état-major doute, c’est peut-être un piège. Le maréchal souhaite plus de précisions. Les officiers sont néanmoins sur leurs gardes et un plan de retraire est échafaudé. Toutefois, la menace n’est pas réellement prise au sérieux. Le maréchal de Mac-Mahon informe le général Douay qu’il part pour Wissembourg à 9 heures pour l’y retrouver et faire une tournée des postes.

La situation géographique de la ville est ainsi : à l’ouest se trouvent les derniers

Wissembourg-4

contreforts des Vosges, boisés, à l’est se trouve la lisière occidentale du Haardt-Wald. Deux crêtes circonscrivent cette lisière, avec des pentes raides.

Entre les deux coule la Lauter, bordée de prairies marécageuses. Le cours de la rivière est difficile à franchir en dehors des ponts et de quelques gués.

La ville de Wissembourg est à cheval sur la Lauter, dominée, au nord, par les pentes méridionales de la croupe de Schweigen, plantées de vignes. C’est une ancienne place forte, déclassée depuis 1867, mais qui conserve ses vieux remparts, plus adaptés à la mousqueterie qu’au combat de 1870.

Trois portes donnent accès à la ville : à l’ouest, celle de Bitche, à l’Est, celle de Landau, et au sud celle de Haguenau. Rien ne défend l’accès à ces portes.

Wissembourg-3

La division Douay ne comprend que huit bataillons, soit 5 196 hommes et 212 officiers (50e de ligne, 74e de ligne et 1er tirailleurs), sept escadrons et demi soit 911 hommes et 78 officiers (11e chasseurs, 3e hussards), trois batteries dont une de mitrailleuses, une compagnie du génie soit un total de 5 200 fantassins, 900 sabres et 18 pièces d’artillerie.

Nous allons suivre, en cette journée du 4 août, le 1er régiment de tirailleurs algériens, surnommés les turkos. Trois bataillons du 1er tirailleurs constituent, avec le 78e, la 2e brigade Pellé, soit 96 officiers et 2 220 hommes sous les ordres du général Pellé. Il a fait l’essentiel de sa carrière en Algérie. Il connaît bien les tirailleurs algériens.

Le 4 août 1870, tout est calme à Wissembourg. Les corvées et quelques éparpillés sont dans la ville, cherchant de quoi manger. Les allemands ne sont pas prêts à se battre, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Tous les bataillons du 1er tirailleurs sont sur les hauteurs du Vogelsberg.

Wissembourg-Vogelsberg

A 8h15 du matin, un obus tombe sur la caserne de Wissembourg, suivi aussitôt par d’autres obus dirigés sur la ville.

Toute la division Douay prend les armes. Contrairement à ce que pense l’état-major, l’ennemi est prêt, et il est là, en nombre.

Le général Pellé se trouve, au même moment, au camp du 1er tirailleurs. Il donne l’ordre de laisser les sacs et de se mettre en position. Les trois bataillons descendants dans la vallée, au pas de course. Le 2e bataillon, dirigée par le commandant Sermansan, se positionne en première ligne avec deux compagnies le long de la Lauter, sur la rive droite, vers les Moulins, et une compagnie dans une petite redoute entre la rivière et la route de Lauterbourg et trois compagnies qui s’abritent derrière les anciennes lignes de défense de Wissembourg.

Le 3e bataillon, dirigée par le commandant de Lammerz, se déploie pour former une deuxième ligne, en avant des houblonnières et de la gare.

Le 4e bataillon, dirigée par le commandant de Coulange, est à l’angle sud-ouest de la ville, pour protéger l’espace entre Wissembourg et les forêts des Vosges. La batterie Didier qui l’accompagne prend position à 150 mètres au nord de la gare.

A 6 heures, un corps d’armée bavarois débouche de Schweigen et repousse les tirailleurs pour prendre leur place et y installer ses batteries. Sur la Lauter, le combat est engagé pour les 2e et 3e bataillons. Ils réussissent à se maintenir jusqu’à 10 heures mais doivent céder du terrain.

Vers 10 h 30, la violence des combats, sur les bords de la Lauter, est à son paroxysme. L’armée française résiste, du mieux qu’elle peut. Baïonnette au canon, le général Pellé défend la gare et la ligne de chemin de fer, avec deux compagnies de tirailleurs : il déploie au nord du chemin de fer, perpendiculairement à la grande route, les deux compagnies du 2e bataillon du 1er tirailleurs et place, à la gare, les fractions disponibles du 3e bataillon. Il leur fait charger, baïonnette au canon, la 18e brigade prussienne, à trois reprises. Les turcos exécutent la chargent dans un élan remarquable. C’est un combat au corps à corps dans lequel nombre de tirailleurs perdent la vie. « Les braves enfants du désert ne voient dans la guerre qu’une nécessité fatale. Ils ne savent que vaincre ou mourir ».

La route de Lauterbourg, aux abords de la gare, est littéralement couverte de sang et encombrée de morts et de blessés.

Quelques groupes de turcos essayent de déborder la gauche des tirailleurs prussiens, mais sans succès.

Malgré un ennemi largement en surnombre par rapport à eux, les soldats français parviennent à se maintenir à la porte de Landau et sur les bords de la Lauter.

Mais les batteries ennemies prennent position et obligent les batteries françaises à se déplacer. Le général Douay comprend qu’il ne s’agit pas d’une simple reconnaissance ennemie mais d’une attaque d’envergure. Il décide d’ordonner la retraite. Alors qu’il cherche lui-même à placer la 2e batterie d’artillerie devant couvrir la retraite, il est atteint par un éclat d’obus. Transporté en charrette au Schafbusch, il meurt quelques minutes après son arrivée.

A 11 heures, les deux batteries françaises du Geissberg doivent cesser le feu. La batterie Didier, au sud de la gare est réduite au silence par l’artillerie ennemie tirant des hauteurs. Le général Pellé doit battre en retraite, suivant les ordres du général Douay, suffisamment lentement pour permettre au bataillon du 74e qui occupe Wissembourg, d’évacuer la place. Mais les hommes se battent sans pouvoir reculer.

Les 2e et 3e bataillons du 1er tirailleurs sont engagés à courte distance et quasiment sans réserve, contre l’avant-garde de l’armée prussienne.

Les turcos résistent à la gare, causant de lourdes pertes à l’ennemi. Mais eux aussi doivent reculer sous le feu de l’ennemi. Un combat au corps à corps s’engage, maison par maison, entre les turcos et les prussiens. Petit à petit, les français sont refoulés de la ville, de la gare.

Le général Pellé vient d’apprendre la mort du général Douay. Par voie d’ancienneté, il doit prendre sa succession. Les troupes « fraiches » qu’il a envoyé pour dégager celles restées dans la ville leur permettent de se replier.

Le 4e bataillon du 1er tirailleur, presque intact, placés à la porte de Bitche, se déploie au Sud-Ouest de la gare, sur la route de Strasbourg, pour couvrir les débris des 2e et 3e bataillon. Une fraction se maintient énergiquement à la gare, permettant aux autres de se replier après midi, en deux groupes, vers les ailes du 4e bataillon, sans être réellement poursuivis. Suivant les souvenirs d’Albert Duruy, engagé volontaire au 1er tirailleurs, les « masses prusiennes » descendaient la colline sans se presser.

Les munitions commencent à manquer. Il faut se réapprovisionner. Pendant ce temps, les troupes prussiennes commencent à descendre la colline au pas, méfiants d’une contre-attaque française qui ne viendra pas.

Les soldats français, les survivants du moins, se retirent, poursuivis par quelques tirs d’obus.

Beaucoup de tirailleurs n’ont plus de munitions. Ceux qui en ont encore forment l’arrière-garde et le régiment gagne ainsi lentement, le sommet du plateau et le camp, tirant à feux nourris sur la rive droite de la Lauter que les bavarois commencent à franchir.

Pendant ce temps, le reste de la troupe arrivé au camp, réapprovisionne les munitions et récupèrent leurs affaires qu’ils avaient, sur ordre, laissées sur place, dès les premiers tirs d’obus. Grace à cet ordre, ils seront pratiquement les seuls à repartir avec leurs effets, les autres régiments se retrouvant dépourvus de leur matériel, abandonné aux mains de l’ennemi.

Le mouvement de retraite de la division s’achève à son arrivé, à cinq heures et demie du soir, au village de Climbach où est établi le quartier général.

Climbach

Une pièce d’artillerie a été abandonnée sur le champ de bataille, ses servants et l’attelage tués, mais les roues brisées, elle ne pourra être utilisée par l’ennemi.

Les morts et la plus grande partie des blessés sont restés aux mains de l’ennemi, la division n’ayant pas d’ambulance ni de moyens de transport.

Malgré la défaite le maréchal de Mac-Mahon adressera des éloges à la 2e division. A peine forte de 4 500 hommes (huit bataillons), elle a soutenu pendant sept heures l’effort de toute l’avant-garde de l’armée prussienne, soit plus de 25 000 hommes avec 13 batteries.

Les pertes sont énormes. La 2e division a perdu 1 100 hommes et 70 officiers. Le bataillon du 74e enfermé dans la ville est capturé presque en entier. Il est à noter que le général Pellé n’avait, depuis son départ de Strasbourg, été informé d’aucun mouvement militaire à opérer et qu’il n’avait aucune carte du pays.

tirailleurs

Le 1er régiment de tirailleurs a perdu 18 officiers et 518 hommes

Le 6e compagnie du 3e bataillon ne compte plus que 2 sous-officiers et 33 tirailleurs. Tous ses officiers ont été touchés : le capitaine Kiéner est mort, le lieutenant Moullé est blessé, le sous-lieutenant Berthélemy est blessé, le sous-lieutenant Mohamed-ben-Ahmouda est mort. Le lieutenant Belamy a reçu une balle en plein cœur, dès le début des combats. Le sous-lieutenant Cazals a été tué presque au même moment, d’une balle en pleine tête. Le capitaine Tourangin, dont le cheval est tué en gravissant un tertre, reçoit une balle à la poitrine et une à la jambe en voulant finir l’ascension à pied. Le lieutenant Grandmont, atteint de neuf coups de feu refuse d’être emmené à l’ambulance et reste sur le champ de bataille. Le lieutenant Mouça-ben-Kouider est également tué. Presque tous les officiers blessés sont faits prisonniers. Les seuls officiers rescapés étaient absents du combat, envoyés par le général Douay acheter les chevaux manquant au régiment.

Et ce ne sont que les officiers. Alors que dire des soldats. Et que dire des autres régiments. Que dire des civils ?

Le combat de Wissembourg est un des plus beaux titres de gloire du 1er régiment de tirailleurs.

 

Parmi les blessés, on peut citer :

  • Ahmed Bel Hadj, né en 1837 à Orléansville, qui souffre d’une plaie déchirée à l’avant-bras droit et fracture du péroné gauche par deux coups de feu provoquant une paralysie et une atrophie de la main, et des cicatrices adhérentes à la jambe.
  • Mohamed Ben Ali, né en 1846 aux Monts-Chain (Alger), fracture comminutive de la jambe droite par coup de feu avec consolidation vicieuse et raccourcissement, cicatrices adhérentes.
  • Mohamed Ben Dada, fracture de l’humérus gauche par coup de feu avec cicatrice adhérente
  • Mohamed Ben Malek, né en 1851 à Cherchell (Alger), plaie pénétrante de poitrine à droite, fracture d’une côte, plaie contuse à l’avant-bras droit par deux coups de feu, cicatrice adhérence et dyspnée.
  • Kaddour ben el Hadj né en 1851 à Ouled Besseim (Alger) plaie pénétrante de poitrine par coup de feu avec nécrose vertébrale, plaies fistuleuses persistantes.
  • M’Ahmed ain Zargua, né en 1830 à Coléah (Alger) caporal, fracture de la branche horizontale droite du maxillaire inférieur par coup de feu avec cal vicieux et énorme, difformité de la face
  • Mohamed Ben Draoui, né en 1837 à Beny-Hayan, fracture du pied droit par coup de feu, amputé de la jambe au tiers inférieur.
  • Mohamed ben Miloud, né en 1845 à Kheneucha (Alger), fracture comminutive de l’humérus droit et du coude par coup de feu, amputé du bras au tiers moyen.
  • Abdallah ben Hacenj,né en 1838 à Beni-Mered (Alger), sergent, vaste plaie contuse à l’épaule droite et au dos par éclat d’obus, cicatrice large et adhérente limitant les mouvements du bras.
  • Ahmed Ben Mohamed né en 1842 à Bou Azouna (Alber), caporal, plaie pénétrante du thorax, coté droit, lésion grave du poumon, fracture de deux côtes, coup de feu, plaies fistuleuses persistantes.
  • Lakdar Moagni, né en 1842, Alger, sergent, fracture comminutive de la jambe droite par coup de feu. Amputé de la jambe au tiers supérieur.
  • Saïd bel Kassem : caporal plaie contuse à la main gauche par coup de feu, amputation du doigt indicateur, perte des dernières phalanges des autres doigts.
  • Camille Augustin Lecerf, né le 5 juillet 1844 à Rocquigny, dans l’Aisne, clairon, fracture de l’omoplate gauche par coup de feu cicatrice adhérente profonde dans la fosse sous-épineuse, ankylose scapulo humérale.
  • Saïd Bel Kacem, plaie contuse à la jambe gauche au niveau du tendon d’Achille par éclat d’obus et tuméfaction du pied.
  • Amar Ben Saïd, né en 1836 à Tuérah (Alger), fracture comminutive du bras droit par coup de feu avec hémorrhagies, amputé du bras au quart supérieur.
  • René Pierre né en juin 1828 à Tours, caporal, plaie compliquée à la jambe gauche par éclat d’obus, amputé de la jambe près du genou.
  • Marquez Claude Pierre Marie Evariste, né le 30 septembre 1824 à Vic (Meurthe), capitaine, plaies contuses aux deux jambes, partie inférieure, par deux coups de feu, balle enkystée dans le creux poplité droit, cicatrices adhérentes, gêne considérable des mouvements des deux membres, plus prononcée à droite.
  • Mohamed ben Youssef, né en 1847 à Rika (Alger), fracture comminutive du fémur gauche par coup de feu, cal énorme avec chevauchement des fragments, raccourcissement de 12 cm.
  • Jean Baptiste Edmond Roux, né le 21 novembre 1851 à Saint-Médard-en-Jalles (Gironde) sergent major, fracture du fémur gauche par quatre coups de feu, amputé de la cuisse à la partie moyenne à Munich, résection du fémur saillant à Bordeaux.
  • Emile Edmond Brecque, né le 28 octobre à Beauvais (Oise), sergent, fracture comminutive de la jambe droite par coup de feu, plaie fistuleuse.
  • Maamar Ben Sadeck, né en 1838 aux Beni-Tamoun (Alger), fracture de l’avant-bras droit et du poignet par coup de feu. Amputé de l’avant-bras

Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 4 août 2020