Cette fin du mois de juillet montre de réelles carences au sein de l’armée française et de son organisation. Nous sommes loin de l’intendance si vantée de l’armée de Napoléon Bonaparte, voire même de l’intendance de la guerre de Crimée qu’admirait tant Florence Nightingale.
Le 29 juillet 1870, les effectifs de l’armée varient de 34 000 à 10 000 d’un corps d’armée à l’autre. Les réservistes cherchent leurs corps, sans être équipés du nécessaire.
Les 600 hommes du 24e de ligne manquent de tous les ustensiles de campement et d’un tiers des pièces de rechange pour les fusils.
Au 71e de ligne, 500 hommes sont près à quitter leur caserne pour rejoindre le front, mais l’ordre n’arrive pas et ils n’ont ni effets de campement, ni cartouches.
Au 60e régiment de ligne, 800 hommes sont retenus à Nancy, pourquoi ?
Au 65e régiment de ligne, 400 hommes sont également prêts à partir, eux aussi sans effets ni ustensiles de campement.
Au 11ede ligne, 300 hommes partent sans tente-abri, et au 9e de ligne, 600 hommes ont été oubliés à Blois, chargés initialement de la sécurité de la haute cour de justice.
Le ministre de la guerre a donné l’ordre, le 23 juillet, de ne diriger aucun régiment vers la zone de future guerre, sans un ordre de lui. Et cela va être respecté à l’extrême. Les ordres ne sont pas donnés, les hommes restent au dépôt, comme ceux des 75e et 94e, disposant pourtant respectivement, de 600 et 1000 hommes.
La situation vire à l’absurde lorsque, à la division du Barail, le général et quelques officiers arrivent à Lunéville le 29 juillet, seuls. Où sont leurs hommes ?
C’est seulement ce jour-là, deux semaines après la déclaration de guerre, que l’on pense, au 2e corps, à rappeler les officiers sans troupe et que l’on commence à se préoccuper de l’achat des animaux de trait nécessaires aux ambulances.
Au 5e corps, les 13 voitures d’ambulance n’ont pas d’attelage et un nombre assez considérable d’officiers de la Garde impériale sont à pied. La commission de remonte du quartier général de la Garde n’a pas un seul cheval à leur donner.
Pire encore, si cela est possible, dans de nombreux corps d’armée, les hommes manquent d’Aiguilles et d’obturateurs de rechange pour le fusil modèle 1866, le fameux chassepot.
Au 5e corps, les hommes arrivent à l’armée sans cartouches. Si les batteries divisionnaires et de réserve sont au complet, il n’en est pas de même des réserves divisionnaires, encore moins des parcs de corps d’armée et du grand parc de l’armée. Sur 1200 chevaux (six compagnies du train d’artillerie) nécessaires à l’attelage des 190 voitures du parc du 1er corps, il n’y en a que le tiers de prêt. Au 6e corps, le maréchal Canrobert rend compte que l’artillerie, devra partir le 2e août, sans son parc, ni les réserves divisionnaires de cartouches.
Le général de Liégeard, commandant l’artillerie du 7e corps, signale de Colmar, l’absence de la presque totalité de son artillerie.
Quant au grand parc de l’armée, le général Mitrecé, ne trouve, à son arrivée à Toul où il doit se concentrer, que le matériel du 1er équipage de pont de réserve et 2 compagnies de pontonniers.
Le colonel directeur à Strasbourg rend compte qu’il manque 3 500 000 cartouches et 7 664 fusées.
Les équipages de pont existent bien, mais, comme au 1er corps, ils ne peuvent être attelés à temps, ou, comme au 2e, le nombre de leurs chevaux est insuffisant.
Les troupes manquent de campement, de couvertures, de voitures régimentaires.
C’est une pagaille monstrueuse, alors le système Débrouille se met en place.
Partout, des trains auxiliaires sont organisés : à la division de Laveaucoupet, 80 voitures de réquisition forment un train. A la 2e division du 3e corps, on en compte 100. A la division de l’Abadie d’Aydrein, le sous-intendant fait également charger, sur des voitures requises, 4 jours de biscuit et d’avoine, et le général commandant le 7e corps rend compte qu’il organise avec le plus grand soin 500 voitures de train auxiliaire.
Le service de subsistance est aussi improvisé que le reste : on vit au jour le jour. Le pain est assuré d’une manière précaire ; pas de
four de campagne, pas de biscuit de réserve. Le maréchal Canrobert indique qu’ils n’ont ni matériel de subsistance, ni biscuit, ni sucre, ni café. Alors le major général prescrit à chaque corps d’armée de mettre 25 soldats boulangers à la disposition de l’intendance qui manque de personnel.
Au 1er corps, le général Ducrot demande l’occupation de Wissembourg pour lui permettre de faire vivre des troupes plus facilement.
Le 2e corps quitte le camp de Châlons, avec seulement 2 jours de pain ou de biscuit, et 4 de sucre et café. A Saint-Avold, où il débarque, rien n’est prévu. Le pain commence à arriver de Metz, de Sarreguemines et de Forbach et le sucre et le café sont pris au camp de Châlons.
Les troupes s’efforcent d’acheter sur place le lard, le sucre, le café, le sel, le riz, l’avoine et le foin. Les biscuits arrivent de l’intérieur.
A Forbach est créé un dépôt d’approvisionnements et un centre de fabrication qui compte 11 fours et dont la farine est achetée à Metz et à Sarreguemines.
Le 2e corps passe des marchés pour la viande, avec des bouchers de Saint-Avold.
Quant aux voitures, seules 66 sont prises au camp de Châlons et ce n’est que le 2 août que le général commandant ce corps d’armée peut enfin disposer des 250 qui lui sont nécessaires.
Voilà pour le campement, la nourriture, les transports, les armes. Mais qu'en est-il du service de santé et des services vétérinaires ? Contrairement aux dires du ministre de la guerre à l’Assemblée, il est absent dans les batteries : pas de cantines médicales, ni matériel, ni personnel pour les ambulances de division ou le quartier général du maréchal Bazaine.
Tout cela sent l’improvisation. Les officiers sur place, font preuve du maximum d’ingéniosité pour palier à tous ces manques.
Parmi ces problèmes, il faut signaler le travail exceptionnel des sapeurs du génie, qui organisent le service télégraphique, en créant ou utilisant des communications, en première ligne, dont le matériel est relevé, à l’arrière, par le personnel civil.
Evidemment, tout cela rend le haut commandement hésitant. Les troupes attendent ou font des reconnaissances insignifiantes.
Les ordres arrivent, les contre-ordres les suivent, et le troisième avis fini par être le dernier. Il fait très chaud, alors les couvertures des soldats sont déposées au magasin du campement (funeste choix qui sera regretté). La garde demande à remplacer son shako si chaud pour un bonnet de police. Trois ordres successifs se contredisant vont se suivre en quelques heures. Et la garde fera toute la guerre en simple bonnet de police, parce que le dernier contrordre arrivera alors qu’ils avaient déjà été distribués.
L’indécision et l’impréparation qui règnent dans l’intendance est également présente dans les opérations militaires.
Les voies de chemin de fer ne sont pas coupées et on laisse, tranquillement, la Prusse amasser ses troupes tout le long de la frontière. Les reconnaissances ne couvrent pas cette dernière, persuadés que sont les officiers et l’empereur, que les prussiens sont là où ils doivent être et pas ailleurs.
On pourrait en rire, mais les larmes vont vite venir couler, sur les corps des soldats français qui vont payer un lourd tribut à toutes ces lacunes.
Quand on voit l’état de l’armée active au début de la guerre, il ne sera pas étonnant d’apprendre que les bataillons de garde mobile vont aller sans uniforme, ni souliers, et peu d’armement, pas toujours en état de fonctionner.
Décidément, cela commence très mal.
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Les fours militaires mobiles " CREBESC CBPRFADLes fours militaires mobiles Le pain distribué aux troupes en campagne est, autant que possible, fabriqué par les manutentions ordinaires, fonctionnant dans les places de guerre ; à leur défaut dans celle que l'administration fait établir à l'arrière des armées; Ce système est applicable, lorsque la base des opérations militaires n'est pas éloignée des centres de ravitaillement ; il devient au contraire peu praticable, lorsque cette base s'éloigne beaucoup, que les transports sont difficiles et nécessitent un temps assez long.
https://levainbio.com Christine Lescène - Le Blog d'une Généalogiste - 29 juillet 2020