Étrange statut que celui de "porté disparu". Ni mort, ni vivant, un peu en suspend entre deux mondes. La guerre de 14-18 a porté au rang extrême cette appellation. Après chaque combat, chaque journée de guerre, l'officier tenant le journal du régiment indique les morts, les blessés et les portés disparus.
Plus tard, une fois la Croix Rouge passée, certains vont quitter ce statut pour celui de "prisonnier de guerre". D'autres, une fois les corps relevés et identifiés, vont devenir des "Morts pour la France". Il va également y avoir des déserteurs, retrouvés ailleurs, jugés et condamnés.
Malheureusement, tous ne quitteront pas cette catégorie de "portés disparus". Il faudra un jugement pour qu'ils soient déclarés "Mort pour la France", mais seulement si la famille l'a demandé. Et même alors, qu'est-ce qu'un morceau de papier au regard de l'absence d'une tombe ?
Evidemment, ils sont tous morts aujourd'hui. Beaucoup reposent dans les ossuaires, comme Douaumont. D'autres, peut-être aussi nombreux, reposent toujours sur le champ de bataille.
Parfois, des corps sont trouvés. Il faut alors les identifier, français, alliés, allemands, puis leur nom et enfin, ils quittent le genre "porté disparu" pour être "Mort pour la France".
Ne pas savoir. De tout temps, cela a alourdi la peine des familles. Ne pas savoir est pire que savoir. Cet espoir entretenu malgré toute logique, mine et détruit les familles. Cet étrange statut batard interdit de pleurer, de revendiquer "l'honneur du champ de bataille". Il impose le doute aussi. Est-il vivant, quelque part, ayant fui lâchement la guerre pour se réfugier sous une autre identité ?
Ne pas savoir. Les familles de marin connaissent bien cette amertume de n'avoir qu'une sépulture vide où se recueillir.
Ne pas savoir et pourtant la vie continue.
Lorsque son mari décède, le 13 novembre 1917, Rosalie Denis n'est pas seulement veuve, elle est en attente. Elle attend de savoir : ses deux fils sont portés disparus, ses deux seuls enfants.
Octave Achille Brault, mobilisé au 42e bataillon de chasseurs à pied, 8e compagnie, est disparu depuis le 6 octobre 1914.
Antoine Alphonse Alfred Brault, mobilisé au 331e régiment d'infanterie, 21e compagnie, est disparu depuis le 31 août 1914.
La vie continue et la succession de leur père, Pierre Brault, doit être réglée pour que la vie puisse continuer pour sa veuve et les femmes de ses fils, des presque veuves, mais pas tout à fait encore. Alors Rosalie passe au tribunal et un notaire est désigné pour représenter ses fils et leurs droits, dans la succession de son mari.
Il faudra attendre le jugement du 18 juin 1920 pour qu'Antoine Alphonse soit déclaré "Mort pour la France", et le 17 juin 1921, pour d'Octave Achille cesse à son tour d'être porté disparu et soit également déclaré "Mort pour la France".
Dans son chagrin, Rosalie aura une certaine "consolation". Ses fils seront retrouvés et elle saura où ils sont enterrés.
Octave Achille est en fait mort à l'ambulance et inhumé près d'Acheville.
Antoine Alphonse était enterré à Fossé, dans la fosse commune numéro 3. Il sera transféré au cimetière militaire de Buzancy.
De fait, ils ne sont plus "portés disparus".
Christine Lescène- 30 septembre 2017 - Le Blog d'une Généalogiste